Cyclisme: l’entrainement par intervalles pour les « nuls »

Cyclisme l’entrainement par intervalles pour les « nuls »
Cyclisme l’entrainement par intervalles pour les « nuls »

N’ayons pas peur des mots ! Pour bon nombre des cyclos de la Fédération Française de Cyclisme, il est des termes qui semblent devoir être exclus du vocabulaire, tant ils se réfèrent au monde de l’élite sportive ou devraient du moins être réservés à ceux qui recherchent l’optimisation de la performance : « S’entraîner » n’échappe pas à cette exclusion de la part de nos amis cyclostouristes, cyclosrandonneurs et autres pédaleurs non compétiteurs. Et pourtant, il leur est utile et même agréable d’augmenter leur rayon d’action, de grimper quelques cols sans revenir épuisés. Que dire de nos seniors qui voient leurs capacités s’émousser rapidement avec les années et qui s’y résignent, estimant qu’il s’agit d’une fatalité ? Or, il n’en est rien ! Grâce à un programme d’« entraînement » bien conduit et varié, la pratique du vélo autorise des « excentricités » qui permettront de développer sans risques nos ressources et de les maintenir à un bon niveau jusqu’à un âge… respectable.

Par Daniel Jacob, professeur agrégé et instructeur FFCT

Pour « s’équiper » d’un bon coup de pédale, que nous dit la physiologie ? Afin de prendre plaisir lors d’une sortie vélo, seul ou en groupe, il nous faut optimiser plusieurs ressources :

  • Avoir suffisamment de puissance pour n’en utiliser qu’un faible pourcentage (en garder sous la pédale) à vitesse raisonnable et ainsi s’économiser ;
  • Être assez endurant pour aller jusqu’au bout de la sortie du dimanche sans épuisement ;
  • Et, éventuellement, gravir les bosses sans faire monter la fréquence cardiaque (FC) en zone rouge.

Pour ce faire, la qualité essentielle est la puissance du « moteur ». Nous utiliserons la métaphore de la cylindrée d’une voiture qui doit réaliser un long parcours. Une petite cylindrée va devoir monter dans les tours pour rester dans le sillage de ses voisines plus puissantes qui, elles, vont fonctionner à l’économie. La priorité sera donc de maintenir un bon niveau de puissance, voire de l’augmenter.

Mais comment un cycliste va-t-il pouvoir augmenter la puissance de son « moteur » ?

Certainement pas en accumulant des kilomètres à allure modérée. Les longs parcours en endurance fondamentale vont même produire l’effet inverse. En effet, pour tout effort à allure modeste, les groupes musculaires concernés vont mobiliser presque exclusivement la filière aérobie. Cette filière de production d’énergie fonctionne sur le principe de l’oxydation des lipides et, en appoint, du glycogène. Les fibres musculaires sollicitées seront donc les fibres riches en myoglobine pour transporter l’oxygène (fibres rouges dites « lentes »). La répétition de ce type d’efforts va rendre inutile ou accessoire un autre type de fibres musculaires : les fibres rapides. Notre organisme s’adapte en renforçant les processus sollicités au détriment de ceux qui sont en sommeil. Le problème, pour ce qui concerne la structure musculaire, est que le processus est difficilement réversible. Autrement dit, si nous ne roulons qu’à puissance modérée, nos fibres rapides et intermédiaires rapides (devenues inutiles) vont se transformer progressivement en fibres lentes de manière irréversible. La force musculaire et la capacité à produire un effort en puissance vont se restreindre et limiter nos ressources énergétiques. Afin d’éviter cette régression, offrons-nous le plaisir de quelques séances qualitatives, séances qui vont mobiliser nos fibres rapides et nos réserves en glycogène (le super-carburant).

De ce point de vue l’entraînement par intervalles est la logique à privilégier

Quel en est le principe de l’entraînement par intervalles ?

Contrairement à une sortie classique avec un effort « continu », comme son nom le suggère, l’entraînement par intervalles (ou Interval Training – IT), présente un effort intermittent :

« Un temps d’effort – un temps de repos – un temps d’effort… »

Il s’agit de solliciter notre organisme à un haut niveau pendant de courtes (ou très courtes) séquences puis de lui laisser un temps de récupération suffisant entre 2 « secousses ». Pour avoir un impact significatif, il est nécessaire que ce niveau de sollicitation soit supérieur ou égal à notre cylindrée (puissance maximale aérobie – PMA- pour les physiologistes). Le dosage est important dans la mesure où ce niveau d’effort en continu ferait monter la FC (fréquence cardiaque) en zone rouge. En effet, nous ne pouvons, par exemple, maintenir 100 % de notre PMA que 5 à 6 minutes et avec une sollicitation cardiaque proche du maximum. Incompatible, à première vue, avec les préconisations des cardiologues pour tout senior soucieux de son intégrité physiologique ? Effectivement, mais il y a un « secret ». Ce secret réside dans la durée de ces sollicitations et dans l’attention que nous allons porter aux temps de récupération. Différents enregistrements montrent que des « secousses » très intenses (tels des sprints) mais de très courte durée (10 secondes) ont un impact cardio (en termes de FC) nettement inférieur à ces défis de type « pancartes » lors de la sortie club du week-end. (Voir schéma 1)

1-Interval-Training :

  • « Secousses » de 30’’ à 100  % de la « cylindrée » avec temps de récupération adaptés ;
  • 4 séries de 5 accélérations avec temps de récupération permettant l’absence d’essoufflement ;
  • Donc peu de dérive cardiaque (+ 25 battements) ;
  • Temps cumulé à 100  % : 10 minutes.

Quel en est l’intérêt ?

Tout d’abord, le plaisir. Plaisir de s’autoriser des montées en puissance sans risque, alors que beaucoup pensent que ces « excès » sont réservés à une… prétendue élite. Ensuite, l’efficacité : comme évoqué précédemment, une ou deux séances hebdomadaires pendant un mois ou deux, vont permettre de développer sensiblement notre cylindrée ou de retrouver plus rapidement l’état de forme initial après une coupure. Autre intérêt non négligeable : une telle séance, échauffement et retour au calme compris, se cale en 1 h – 1 h 30, avec un état de fatigue limité. Du point de vue sensations, c’est surprenant : « Même pas fatigué ! ». Il faut accepter l’idée que l’efficacité n’est pas corrélée au ressenti et se dépouiller de celle que, pour faire progresser, une sortie doit obligatoirement être épuisante. Un certain nombre d’entre nous avons d’autres centres d’intérêt dans la vie et apprécions de nous sentir disponibles (après la douche) pour enchaîner avec les activités du quotidien.

Enfin, un dernier avantage à mettre en évidence est le « rapport qualité/prix » : nous avons signalé que, pour développer la cylindrée (PMA), il était nécessaire, lors d’une sortie, de passer le plus de temps possible autour de cette puissance maximale que peut dégager notre filière aérobie. En continu, nous ne pouvons maintenir ce niveau de puissance au-delà de 5 minutes et avec une dérive cardiaque qui nous fait monter notre cardio proche de sa FCmax. Or, pour prendre l’exemple de secousses de 30 secondes à PMA avec une récupération modulée (FC de retour en zone de confort – sans essoufflement), il nous sera possible de doubler (voire plus) le temps cumulé à ce niveau de puissance. Plus efficace, moins de temps de selle et… même pas fatigué ! Nous sommes gagnants sur tous les tableaux. (Voir schéma 2)

2-En continu :

  • 100  % de la « cylindrée »… le plus longtemps possible ;
  • Lors d’une sortie d’une heure et après échauffement ;
  • 1 accélération à 100% de la cylindrée (puissance maximale de la filière aérobie) ;
  • Temps limite : 5 minutes ;
  • Dérive cardiaque importante (+ 50).

Fait à partir d’enregistrements réels, sur le terrain

La spécificité de l’IT à vélo

Sur ce registre, le cyclisme offre un avantage indéniable. Même si ce principe d’entraînement nous vient de l’athlétisme, il est non seulement applicable à vélo, mais plus facile à mettre en œuvre. En effet, les sollicitations de type sprint demandent un temps et un protocole de préparation musculo-tendineuse importants en course à pied, afin d’éviter toute lésion. À vélo, du fait de l’absence d’impact, le temps d’échauffement (nécessaire) peut être réduit et les risques de déchirure sont pratiquement nuls. Autrement dit, les intensités peuvent sans problème aller jusqu’au sprint. Et à tout âge ! Rappelons que la puissance développée lors d’un effort explosif est en général de 2,5 fois la PMA. De ce fait, si nous voulons solliciter muscles et filières énergétiques à notre PMA, il nous faudra doser et apprécier ce niveau de watts. De ce point de vue, un capteur de puissance peut apporter une aide précieuse.

Qu’en est-il du « Fractionné » ?

Ce terme nous est plus familier que celui d’Interval Training. En réalité, le fractionné n’est autre qu’une forme particulière d’IT. Ce type d’entraînement se place dans la programmation d’un « compétiteur », en général lors de la période qui précède une compétition. Il s’agit de… fractionner la distance de course et de solliciter son organisme à la puissance/allure ciblée le jour J., tout en se ménageant des temps de récupération, souvent relativement courts.

Exemple :

Pour un coureur à pied qui se prépare à disputer un 800 m et qui vise le temps de 2’, il va, après échauffement, se programmer 4 fois 200 mètres en 30’’ avec des temps de récupération de 30’’ à 1’. Parfois, il va rajouter un 5e 200… pour le plaisir !

Un entraînement de type « fractionné » constitue donc tout simplement une modalité, parmi d’autres, du principe d’entraînement par intervalles. Mais à réserver aux compétiteurs.

Que faut-il en conclure ?

À chacun de se faire une opinion, ou encore mieux : une idée argumentée. Fuyons les idées reçues !

De toute évidence, ce qui donne des résultats en course à pied est transposable sur une selle avec un atout supplémentaire : la pratique cycliste est un sport « porté ». Donc pas d’impact traumatisant avec le sol. Plus efficace pour entretenir la capacité à monter en puissance ou tout simplement pour s’économiser en n’utilisant qu’un moindre pourcentage de cette cylindrée (sur de longues distances). Nous incitons donc cyclostouristes comme cyclosportifs à intégrer une séance hebdomadaire d’Interval-Training en complément de la traditionnelle séance longue. C’est en quelque sorte la logique de l’entraînement « polarisé ». De la variété et du contraste, pour la forme, la santé et le plaisir de sortir des routines. ✱

Enregistrements de l’évolution de la FC en fonction de la Puissance et de la durée

  • 7 sprints de 10 à 15’’ à puissance max (entre 700 et 850 watts) ;
  • Récupération : le critère est de laisser la FC redescendre en bas de la zone « de confort » (110/112 battements/min) ;
  • On peut constater que, malgré la puissance développée, la FC reste en dessous de 140 (sollicitation moyenne) ;
  • D’autre part, pour éviter la dérive cardiaque, les temps de récupérations ne sont pas fixes, mais modulés (de 30’’ à 2’30).