La commotion cérébrale et la pratique du ski

Ski et commotion cérébrale
Ski et commotion cérébrale

Depuis le début des années 2000, les commotions cérébrales dans le sport suscitent l’intérêt des communautés scientifiques et médicales, mais également celui des fédérations sportives. Les études récentes menées sur leurs potentielles conséquences à long terme chez les sportifs semblent avoir éveillé les esprits et justifier la nécessité de mettre en place une politique de réduction des risques, notamment au sein des fédérations sportives.

Par le docteur Arnaud Peurois, médecin, auteur d’une thèse sur la commotion cérébrale en ski alpin au sein de la FFS

Qu’est-ce qu’un commotion cérébrale?

La commotion cérébrale se définit par une dysfonction neurologique, cliniquement transitoire et de résolution spontanée, induite par des forces d’inertie transmises au cerveau, secondaires à un choc direct sur le crâne, ou indirect, sur le cou ou une autre partie du corps (le cerveau se comporte alors comme un passager sans ceinture dans un habitacle rigide). Elle représente la lésion la moins sévère du spectre des lésions cérébrales traumatiques, correspondant à une perturbation uniquement fonctionnelle ; c’est pourquoi la neuro-imagerie standard ne montre aucune atteinte structurelle de l’encéphale dans son cas.

Les symptômes correspondant à cette atteinte fonctionnelle sont très variables et parfois fugaces, allant de la perte de connaissance (peu fréquente, moins de 10 % des commotions cérébrales) à des modifications du comportement ou une fatigue anormalement ressentie par la victime. Il suffit de l’apparition d’un seul symptôme, suite à un impact, pour suspecter ce diagnostic.

Dans la grande majorité des cas, les commotions cérébrales sont difficiles à repérer, voire peuvent passer inaperçues par une tierce personne si la victime ne fait pas état de ce qu’elle ressent après l’accident. De plus, ces symptômes peuvent apparaître de manière différée, jusqu’à 48 h après l’impact. Le repérage d’une commotion cérébrale, par le sportif lui-même (pour lui, il s’agit de comprendre ce qui se passe), son entraîneur ou son entourage est crucial car une prise en charge et des consignes de sécurité strictes s’imposent.

Pourquoi la repérer est-il important?

La reprise trop précoce de l’activité sportive suite à une commotion cérébrale expose le sportif à un risque accru de nouvelle blessure et notamment d’une nouvelle commotion, dont les conséquences et la gravité se révèlent parfois dramatiques (syndrome du second impact, générant un œdème cérébral diffus et pouvant aboutir au décès de la victime).

Certaines victimes peuvent également développer un syndrome post-commotionnel (5 à 15 % des athlètes commotionnés, surtout les plus jeunes), c’est-à-dire la persistance, voire l’apparition de nouveaux symptômes se chronicisant par la suite (céphalées, troubles de l’équilibre, irritabilité, troubles de l’humeur, fatigue) pendant des mois.

Enfin, les travaux d’anatomopathologie réalisés récemment sur les cerveaux d’anciens joueurs de football américain, victimes de nombreuses commotions au cours de leur carrière, montrent une accumulation anormale dans le tissu cérébral de certaines protéines, notamment la protéine Tau, de manière similaire à plusieurs pathologies neurodégénératives regroupées sous le terme de « tauopathies » dont la maladie d’Alzheimer (MA) fait partie.

Actuellement, la multiplication des commotions cérébrales, notamment dans certains sports où le morphotype des athlètes a évolué et où la prise de risque est toujours plus grande, laisse craindre une « épidémie » future dans le monde sportif.

Et le ski dans tout ça?

Concernant le milieu du ski français, les données épidémiologiques manquent et sont actuellement en cours d’établissement. Néanmoins, on trouve quelques chiffres du côté canadien, notamment concernant les plus touchés, c’est-à-dire les plus jeunes.

Chez les garçons de 15 à 19 ans, d’après les données collectées entre 2011 et 2017 par le SCHIRPT (Système canadien hospitalier d’information et de recherche en prévention des traumatismes), le ski se classe en 7e position des sports les plus pourvoyeurs en commotions cérébrales devant des sports collectifs comme le handball et le basketball. À noter également la 6e position dans ce même classement du snowboard chez les filles de 15 à 19 ans (1).

Pour compléter ces données d’épidémiologie, retenons que sur les 2 080 blessures enregistrées en coupe du monde (données de la Fédération Internationale de Ski – FIS) de ski alpin, snowboard et freestyle, de 2006 à 2013, 245 (11,8 %) étaient des traumatismes cranio-faciaux dont 210 (81,6 %) correspondaient à une commotion cérébrale(2).

Les traumatismes crâniens et notamment les commotions cérébrales ne semblent donc pas rares dans la pratique du ski.

Comment repérer une commotion cérébrale ?

Il s’agit probablement de l’un des diagnostics les plus difficiles à porter en traumatologie du sport. Il existe pour le personnel non médical un outil international d’aide au repérage de la commotion cérébrale sous la forme d’une « fiche mémo » : la Concussion Recognition Tool 5 (CRT5), récemment traduite en français. Mais depuis quelques années, la FFS a également mis en ligne sur son site Internet un flyer, téléchargeable au format PDF, qui présente la même fonction et qui s’adapte davantage à la pratique du ski.

Ce flyer rappelle quels sont les signes d’alerte motivant un avis médical rapide (dans les 3 heures) en cas d’accident impliquant un traumatisme crânien isolé. En l’absence de ces signes et si l’on suspecte malgré tout une commotion cérébrale (sur l’apparition d’un ou plusieurs symptômes n’appartenant pas à la catégorie des « signes d’alerte »), un arrêt immédiat de l’activité physique en cours s’impose.

Dans tous les cas, un avis médical spécialisé devra être porté à 48 heures (afin de ne pas méconnaître l’apparition différée de certains symptômes). La recherche d’un traumatisme du rachis cervical doit être systématique. Une feuille de consignes de surveillance intitulée « commotion cérébrale » est également téléchargeable sur le site de la fédération, elle est à remettre au blessé et à son entourage. Il est notamment rappelé qu’il ne faut pas laisser la victime seule dans les premières heures qui suivent l’accident et qu’elle devra respecter un repos strict, intellectuel (pas d’exposition aux écrans, pas de lecture) et physique absolu
de 48 h.

Quelle prise en charge ?

Le repos est l’élément central de la prise en charge ainsi que le retour graduel au sport, par six paliers progressifs obligatoires de 24 h minimum (cf ci-dessous). La reprise de l’activité sportive ne peut se concevoir qu’en l’absence de symptôme et doit être nécessairement validée par un médecin (certificat médical entre le 4e et le 5e palier).

La majorité des symptômes commotionnels se résolvent en 7 à 10 jours chez l’adulte, mais cette période est bien souvent plus longue (14 jours et plus) chez les enfants et adolescents qui ne pourront alors commencer le protocole de retour au jeu (6 étapes = 6 jours minimum) qu’à partir de ce moment (à titre indicatif, la FFR a inscrit dans son règlement une exclusion de la compétition – blocage de la licence – et du sport avec contact de 23 jours minimum pour les moins de 18 ans). 

La FIS a émis des recommandations en 2017 sur l’identification, la prise en charge et l’accompagnement de ces blessures(3)  (les 6 paliers graduels de retour au sport sont notamment décrits), consultables et téléchargeables sur son site. Elles sont calquées sur les recommandations internationales de 2016 en matière de commotions cérébrales dans le sport(4) (5).

Enfin, en termes de prévention primaire, des études ont été menées sur l’intérêt du casque de ski. Les résultats sont souvent contradictoires, mais globalement il ressort que si le casque est un bon moyen de prévention des traumatismes faciaux et crâniens graves, c’est beaucoup moins évident concernant les commotions cérébrales. La meilleure prévention actuelle reste donc l’information du public concerné, largement diffusée, afin que tout le monde puisse prendre les bonnes mesures en cas de suspicion d’une telle blessure. 

1. Commotions cérébrales et traumatismes crâniens chez les enfants et les jeunes canadiens [Internet]. [cited 2019 Sep 14]. Available from: https://sante-infobase.canada.ca/labo-de-donnees/blogue-blessures-a-la-tete-interactif.html

2.  Steenstrup SE, Bere T, Bahr R. Head injuries among FIS World Cup alpine and freestyle skiers and snowboarders: a 7-year cohort study. Br J Sports Med. 2014 Jan 1;48(1):41–5.

3.  FIS. FIS Concussion Guidelines 2017 [Internet]. 2017. Available from: https://www.fis-ski.com/en/international-ski-federation/news-multimedia/news/article=updated-concussion-guidelines-published

4.  McCrory P, Meeuwisse W, Dvorak J, Aubry M, Bailes J, Broglio S, et al. Consensus statement on concussion in sport—the 5th international conference on concussion in sport held in Berlin, October 2016. Br J Sports Med. 2017 Apr 26;bjsports-2017-097699.

5.  Patricios JS, Ardern CL, Hislop MD, Aubry M, Bloomfield P, Broderick C, et al. Implementation of the 2017 Berlin Concussion in Sport Group Consensus Statement in contact and collision sports: a joint position statement from 11 national and international sports organisations. British Journal of Sports Medicine. 2018 May;52(10):635–41.