L’activité physique « booste » l’intelligence

L’activité physique « booste » l’intelligence
L’activité physique « booste » l’intelligence

Et si Descartes s’était trompé ? L’obsession de Descartes à présenter le corps et l’esprit comme deux identités réellement distinctes (voir encadré en dernière page), conditionne encore la représentation que nous avons de la nature humaine. Pourtant, force est de constater que l’épanouissement physique et l’épanouissement intellectuel vont souvent de pair. Nous observons que, pour bon nombre de ceux qui nous entourent, l’expression « bien dans son corps, bien dans sa tête »… et inversement, se vérifie très souvent. Mais au-delà de l’impression, qu’en est-il réellement ?

Par Daniel Jacob, professeur agrégé et instructeur FEDERATION FRANCAISE DE CYCLOTOURISME

De nombreuses publications, et notam­ment en neurosciences, démontrent les bienfaits de l’activité physique sur le fonctionnement cérébral. Un bénéfice pour une pratique sportive régulière, mais également pour des séances ponctuelles, isolées. En effet, dans les heures qui suivent un effort physique, on observe une amélioration de la fonction cognitive : meilleure capacité d’attention et optimi­sation de la mémoire. Et cela semble logique. Lors d’une pratique physique, le cerveau, comme l’ensemble du corps, va bénéficier d’une meilleure irrigation, donc d’un apport opti­misé en oxygène. Notre capacité à penser en sera plus opérationnelle. L’activité physique stimule également la mémoire en déclenchant la neurogenèse (fabrication de neurones) dans l’hippocampe, la zone du cerveau responsable de la mémoire et de l’orientation spatiale. De plus, le cerveau du sportif va devoir, lors de sa pratique, être en vigilance afin de traiter au mieux de nombreuses informations et prendre les bonnes décisions. Cerise sur le gâteau : le niveau d’attention requis perdure à l’arrêt de l’activité.

Une intelligence multiforme

Mais au fait, de quelle intelligence parlons-nous ?

Nombreux sont ceux qui ont cherché à circonscrire ce concept. Il y a consensus autour de cette idée globale qui voudrait que
« l’intelligence soit cette capacité à résoudre des problèmes nouveaux, à s’adapter… ». Albert Jacquard y ajouterait :
« L’intelligence est toujours le fruit d’une aventure individuelle nourrie par des stimuli extérieurs. »

De toute évidence, elle est multiforme, permet de résoudre des problèmes abstraits mais aussi des problèmes concrets (intelligence pratique), ou encore de savoir s’adapter à un groupe et de gérer au mieux un conflit. Mais également, sur le registre sensible, une autre forme d’intelligence permet de développer des capacités artistiques ou une facilité à comprendre l’autre (empathie…). Il y aurait donc différentes formes d’intelli­gence et à chacun de développer une forme plutôt qu’une autre.

D’autre part, il nous faut admettre qu’« on ne naît pas intelligent, on le devient ! » pour parodier Simone de Beauvoir. En effet, si une part de notre intelligence est déterminée par notre patrimoine génétique (merci papa, merci maman), ce n’est qu’une base, un potentiel qu’il nous faut cultiver. Les meilleures graines ne donnent de belles plantes que si le terrain est adapté et fertile. Et, de toute façon, les différentes formes d’intelligence se construisent progressivement, tout au long de la vie et en respectant des étapes.

Aide au développement 

Dès la naissance, le tout jeune enfant va explorer le monde qui l’entoure. Et c’est par des manipulations et une motricité naissante qu’il va développer ses capacités sensori-motrices. Le mouvement est donc premier. Il constitue en quelque sorte le socle du développement physique et intellectuel du futur adulte. C’est à partir de sa motricité qu’il va avoir accès à un autre stade plus conceptuel que les scientifiques, dans le sillage de Piaget, appellent « hypothético-déductif ». Ce terme peu utilisé au quotidien décrit pourtant une opération simple : devant une situation inhabituelle, je fais une hypothèse et, selon le résultat, j’en déduis que ma réponse était ou non adaptée. Et je recommence ! Lors de toute activité sportive, nous avons à mettre en œuvre cette démarche. Sauf si nous nous contentons de faire toujours la même chose ? Il n’y a que l’inconnu qui fait marcher notre cerveau !

La manipulation de l’environnement proche, par tout bébé ; les apprentissages du jeune enfant par essais et erreurs, lors de son « exploration du vaste monde » ; puis la pratique d’une activité physique plus codifiée, vont permettre au système nerveux de se construire. Neurones, connexions avec les fibres musculaires connectées, vont devenir un système efficient. Mais patience : il faudra attendre 25 ans pour que le jeune adulte atteigne la pleine possession de ses capacités neuro­-
muscu­laires. Et dans cette élaboration progressive, l’intelligence conceptuelle prend racine dans l’intelligence pratique. L’action sensori-motrice est réellement le prélude au développement de l’intelligence, voire de la personnalité tout entière. Dans cette logique, nous pouvons dire avec E. Morin qu’il n’y a « pas de pensée sans action mais pas d’action sans motricité » et que « tout progrès de l’action profite à la connaissance et tout progrès de la connaissance profite à l’action ».

De la physique en mouvement !

Ainsi, des notions aussi fondamentales que la construction de l’espace et du temps (et du rapport espace/temps) prennent racine dans la pratique physique. Quoi de plus intéressant, en effet, de vivre dans son corps ces deux notions avant de les mettre en équation lors des apprentissages en physique ou en maths ? Des études sur la logique de l’enfant, sur la genèse du nombre ou de la causalité, en passant par les recherches sur le développement des quantités physiques, sur les notions de mouvement ou de vitesse, montrent que l’élaboration de ces opérations mentales est facilitée par les pratiques corporelles.

Bon en maths et bon en sport ?

L’idée que le « bon en maths » serait maladroit et que, en miroir, le sportif aurait quelques difficultés avec les équations, semble fortement ancrée. Nous nous permettons de combattre cette idée reçue. En effet, de nombreux travaux sur l’apprentissage chez de jeunes enfants ont montré combien la résolution de problèmes moteurs améliorait les performances de l’intelligence conceptuelle. C’est un peu comme si la pratique sportive mobilisait des ressources utiles à la résolution de problèmes dans d’autres domaines. Meilleure vigilance, optimisation de l’apport d’oxygène à toutes les cellules ? Sans doute, mais pas seulement. Le terme même de « neuromusculaire » indique clairement que nos muscles et nos neurones doivent avoir des relations intimes. Et, si possible, des relations de collaboration.

Et l’apprentissage dans tout ça ?

Mais y aurait-il une manière de faire apprendre les gestes techniques qui favoriserait la réflexion et donc stimulerait l’intelligence ? Et… inversement ?

Pour le sportif, il est important d’affiner sa technique et, dans la mesure où son cerveau ne peut pas tout contrôler, il doit se
« reposer » sur une base d’automatismes acquis. C’est un peu comme si le cerveau devenait alors inutile, mais disponible pour l’apprentissage de gestes plus élaborés. Pour certaines tâches, il n’est pas besoin de mobiliser le cerveau. Tout se passe en circuit court. Le geste est globalement automatique. Il a été maintes fois répété et a juste besoin d’une légère régulation, d’un ajustement. Un simple passage par la moelle épinière et le mouvement se déclenche automatiquement.

Mais s’il est nécessaire de modifier, d’améliorer le geste technique, le circuit court ne suffit plus. Un passage par le système nerveux central (SNC) est nécessaire. Les techniques les plus élaborées s’appuient donc sur les apprentissages antérieurs. C’est sur ces automatismes que l’enfant (comme l’adulte) va pouvoir construire ou affiner son geste. Dans ce cas, le SNC (l’étage dit supérieur) va devoir se mobiliser.

La résolution de problèmes

Et si les apprentissages moteurs et intellectuels faisaient appel à la même démarche ? Une démarche expérimentale qui solliciterait la réflexion, donc l’intelligence.

Il est en effet plusieurs moyens de faire acquérir (apprendre) une même notion ou un même geste technique :

  • La démonstration/imitation (regardez comment je fais et faites comme moi) ;
  • La correction (pour coller à un modèle, le modèle de l’expert) ;
  • La mise devant des situations – problèmes. Cette dernière option va faire en sorte que l’enfant devra trouver lui-même la solution. L’éducateur va mettre en place une situation et lui demander d’expérimenter différentes manières de faire, l’enfant devant trouver lui-même la meilleure solution. La meilleure pour lui. Cette solution technique lui appartient, avec les moyens dont il dispose. Ce ne sera pas toujours la même que pour son copain. Plus tard, lorsqu’il aura grandi, acquis de la force, que son équilibre sera plus performant, il trouvera de nouvelles solutions, de nouvelles techniques. Avec cette façon de faire apprendre, l’enfant devra mobiliser son intelligence et son sens des responsabilités. Il ne sera pas passif. De plus, il saura probablement expliquer le compromis qu’il aura trouvé… lui-même.
  • ­« Réussir et comprendre » serait donc le voisin de palier de « expérimenter et progresser ».

Habiletés dites « fermées » et habiletés « ouvertes »

Certains sports solliciteraient-ils plus l’intelligence que d’autres ?

En effet, le nageur qui évolue uniquement en piscine va trouver très rapidement ses repères. Il pourrait presque faire ses longueurs les yeux fermés ? Son environnement est stable. Dès qu’il nagera en eau vive, avec peut-être du courant ou des vagues, sa prise d’informations sera plus complexe, plus sollicitante. De même pour le grimpeur de vitesse par rapport à l’adepte de l’escalade en milieu naturel. Du coureur sur piste par rapport au trailer.

Encore plus d’incertitudes pour ceux qui pratiquent les sports collectifs en salle où les actions s’enchaînent très rapidement. Chaque joueur, lorsqu’il est en possession du ballon, doit pouvoir dribbler sans regarder le ballon puisqu’il doit prendre des informations sur ses adversaires, ses partenaires et ne pas perdre de vue… la cible. À chaque seconde, une prise de décision et de risque.

Qu’en est-il de nos cyclistes ?

Sur ce critère, il est évident que le VTT est plus exigeant. Surtout lorsque le terrain est « technique », c’est-à-dire varié, avec de nombreux obstacles. Les prises d’infos et plus globalement les qualités neuromusculaires seront mises en éveil en permanence. Il est important que les connexions fonctionnent et soient réactives. Cela ne signifie pas que les routiers ne doivent pas être vigilants, mais simplement qu’en cyclisme sur route, il y a moins d’incertitudes et l’expert qui recherche la vitesse peut… baisser la tête. Quelques prises de repères visuels de temps en temps pour le « contre-la-montre » et le pilote se concentrera avant tout sur la gestion énergétique de son effort. Une seule incertitude : « Aurai-je suffisamment d’énergie pour maintenir l’allure jusqu’au bout ? »

Le VTT sur parcours inconnu solliciterait donc plus l’intelligence que le vélo de route ? De là à établir une hiérarchie… nous ne nous y risquerons pas !

Du vélo et de la musculation pour le cerveau !

La motricité est donc un champ d’expérimentation nécessaire au développement des différentes formes d’intelligence chez l’enfant. L’activité physique restera tout au long de l’enfance, puis de l’adolescence, un levier privilégié pour la maturation neuromusculaire et, entre autres l’accès aux concepts. Il n’y a pas d’un côté le corps et de l’autre, l’esprit qui pourrait se passer de l’ancrage corporel. Mais l’intelligence est plus ou moins stimulée lors des pratiques physiques. Varier les situations et apprendre de nouvelles techniques par essais et erreurs sont deux clés essentielles. Il en va de même pour le senior qui pourra garder une plus grande vigilance intellectuelle s’il maintient une mobilisation corporelle quotidienne. Des haltères ont même fait leur apparition dans certains EHPAD ! « L’entraînement en endurance est certes efficace pour préserver les structures cérébrales, mais l’entraînement en force fait encore mieux, notamment en matière de mémorisation, d’attention, de temps de réaction, de planification des tâches et d’organisation spatiale », selon Anthony Sanchez (Sport et Vie n° 182, septembre 2020)

Quoi de plus favorable que la pratique sportive dans le cadre d’un club, dans la mesure où l’intelligence sociale pourra également s’épanouir et s’exprimer. 


Bon sang, mais c’est bien sûr !

Témoignage d’un triathlète breton. Nous l’appellerons Erwan

Il était une période (un peu difficile dans ma vie) où les problèmes s’accumulaient pour moi. Problèmes de toutes sortes : professionnels, familiaux… Pour « m’aérer les méninges », je me suis mis à remettre de la pratique sportive dans mon planning. Chaque jour une activité physique. Essentiellement vélo et course à pied. Je me doutais que ça me ferait du bien, mais pas que, ces sorties me permettraient d’y voir plus clair, en plus positif et… de résoudre des énigmes : en effet, un jour, lors d’une sortie vélo de plus de 2 h, j’ai trouvé la solution à un problème professionnel sur lequel je butais depuis plusieurs semaines.

« Mais bon sang, c’est bien sûr ! »

Quelques jours plus tard, c’est lors d’un footing sur un chemin de douaniers, dominant la mer, que
j’ai débloqué une autre situation qui m’encombrait l’esprit… Bref, il m’est même venu l’idée d’enregistrer sur mon portable ces idées « lumineuses » qui me venaient lors de mes escapades, de peur de les oublier. J’ai attribué ces déblocages à ce que j’avais lu sur la sécrétion d’endorphines ou aux bienfaits des lactates. Peut-être était-ce tout simplement les bienfaits d’une meilleure oxygénation de mes cellules grises… ou blanches ? Peu m’importait, en vérité, l’essentiel était que je venais de m’apercevoir que le sport avait un effet bénéfique dont j’ignorais l’existence et qui me faisait bigrement du bien !

Depuis, le sport fait partie intégrante de mon emploi du temps et… je me suis même mis au triathlon !

*Pour reprendre l’expression du commissaire Bourrel résolvant une énigme dans Les Cinq Dernières Minutes, série policière télévisée que les moins de 50 ans ne peuvent pas connaître.

Exemple de situations-problèmes :

Pilotage VTT en descente puis en côte raide

Deux problèmes essentiels identifiés :

  • Dosage du freinage (freins avant/arrière) ;
  • Recul du poids du corps.

Sur une pente raisonnable avec plusieurs passages, l’enfant/ado va expérimenter, l’une après l’autre,
différentes solutions. En n’agissant que sur 1 paramètre. D’abord le freinage. Tout frein arrière, puis tout frein avant, pour ensuite chercher le meilleur dosage. Dans un second temps, plusieurs passages pour expérimenter différentes positions du corps. D’assis sur la selle à très reculé, de façon à trouver sa meilleure position. Riche de ses essais, il pourra réinvestir dans des pentes plus raides.

Et après la descente, il faut remonter.

Nous pouvons identifier deux types de problème :

  • Trouver le bon braquet ;
  • Optimiser la répartition du corps (accroche de la roue AR en évitant le cabrage).

Certains nous diront : pourquoi ne pas leur donner la solution tout de suite ? ça irait plus vite. Peut-être (quoique…) mais l’ancrage ne sera pas le même et la sollicitation des différentes formes d’intelligence sera moins… riche.

Ce que nous avons retenu de la pensée de Descartes

Le philosophe français René Descartes a théorisé le concept de « dualisme cartésien », à savoir que le corps et l’esprit seraient deux entités qui agiraient séparément, indépendamment l’une de l’autre. Du moins, c’est l’essentiel du message que nous avons retenu, négligeant les nuances… collatérales !

En effet, il s’est également posé la question des liens entre ces deux « substances » qui nous constituent :
le corps (matériel) et l’esprit (immatériel).

Comme souvent, nous avons interprété ou du moins simplifié une pensée complexe, trop complexe sans doute, pour servir de fondement à notre propre pensée. Et cela a des conséquences importantes sur notre façon de comprendre, entre autres, les interactions entre notre corps et notre esprit…