Je connais Gilles depuis des années. Il a 52 ans. Il est triathlète. Il a validé l’Iron en 13H55. Un beau gosse sculpté qui prend soin de lui : entraînement 6 à 7 fois par semaine, alimentation équilibrée, sommeil suffisant, festivités et séries télé réduites au minimum. Le samedi, il roule à Longchamp. Raisonnable, il n’intègre pas les pelotons de furieux qui fusent roues dans roues. De cette manière, il limite les risques de chute au maximum. Et de toute façon, en triathlon, le drafting est interdit ! Alors il reste spécifique. Le dimanche, c’est sortie longue en vallée de Chevreuse. Là encore, entre les descentes sinueuses et les voitures qui se rendent au déjeuner dominical, il se doit de rester très vigilant ! Moralité, pas une gamelle en 20 ans de cyclisme assidu !
Mais, Gilles taquine l’asymptote de la perfection. Il a décidé depuis 9 mois de se rendre au boulot à vélo. Ainsi, il ressent le plaisir de faire du bien à la planète et il peaufine son travail foncier. Il a opté pour un modèle à assistance électrique afin de ne pas arriver trempé de sueur au bureau.
Alors qu’il avait souhaité solliciter mon avis sur le concept, je lui avais répondu : « Gilles, vous faîtes comme vous voulez mais concernant votre entraînement, ajouter ces courtes sessions à basse intensité ne vous apporteront rien de plus que votre programme habituel. Et concernant le climat, vous trouverez toujours une petite place dans le métro de la ligne 1 pour aller à la Défense … Et, je crois que c’est moins dangereux ». Il m’avait répondu qu’il serait prudent et qu’il n‘était jamais tombé. Il a jouté qu’il gagnait quinze minutes par rapport aux transports en commun. J’ai compris que sa décision était prise …
Ce matin, il s’est engouffré dans une place d’urgence. Je le croise en salle d’attente, la mine dépitée et le bras en l’écharpe. Je l’emmène avec moi et je l’installe dans mon bureau …
Le Doc : Alors, Gilles, que vous est -il arrivé ?
Gilles : Doc ! C’est le vélo taff ! Je roulais serein et vigilant sur une piste cyclable. Vous savez les portions étroites et double sens qui longent la Seine. Venant vers moi, une maman sur VAE avec son porte bébé. Un jeune arrive derrière sur son fixie. Il déboite d’un seul coup en danseuse.
LES ACCIDENTS VELO CONTRE VELO : UNE NOUVEAUTE TROP FREQUENTE
Je n’ai rien pu faire, je l’ai pris pleine poire ! Un fracas d’acier ! On était tous les deux entre 20 et 25 km/h … un choc frontal à près de 50 … Mon épaule droite a tapé et ma tête aussi … J’ai cassé mon casque !
Le Doc : Aïe ! Gilles ! Avant cet engouement du vélo taff, je n’avais jamais vu d’accident vélo contre vélo ! C’est devenu très fréquemment chez mes sportifs adeptes d’un complément d’activité physique. Malheureusement pour eux, tous les néo cyclistes urbains n’ont pas leur dextérité pour manipuler la petite reine. Sans compter que les concepts de circulations sont en cours de test et de validation … Comme si les labos pharmaceutiques commercialisaient une molécule alors qu’elle est encore en phase de test chez les rats …
Gilles : C’est vrai ! Dans les petites rues en sens uniques… sauf pour les vélos, en croisant le regard effaré des automobilistes, j’avais vraiment l’impression d’être un cobaye ! Cependant, il faut bien avouer que les accidents sont rares …
Le Doc : Gérard Saillant, célèbre chirurgien orthopédiste, face aux faibles probabilités de traumatisme aimait ajouter : « … mais quand ça vous arrive, ça fait 100% ! ». Alors Gilles, comment avez-vous été pris en charge …
RISQUE MODERE ! MAIS QUAND CA VOUS ARRIVE CA FAIT 100%
Gilles : Les pompiers m’ont ramassé. Ils m’ont emmené aux urgences. J’ai fait un scanner cérébral … pas d’hématome intra crânien ! Mais j’ai toujours mal à la tête et je reste vaseux ! J’ai fait une radio de l’épaule. Pas de fracture, juste une entorse acromio-claviculaire si j’ai bien compris. Mais je continue à souffrir beaucoup malgré l’immobilisation …
J’examine complètement et consciencieusement Gilles puis je débriefe avec lui …
Le Doc : Bon ! Concernant votre traumatisme crânien, bien sûr vous n’avez pas d’hématome extra-dural qui écrase votre cerveau et engage le pronostic vital. En revanche, vous êtes victime d’une commotion cérébrale. L’encéphale subit l’inertie du choc et vient taper sur l’intérieur de la boite crânienne. Il en résulte un œdème qui altère le fonctionnement des neurones pendant quelques jours et laisse parfois quelques cicatrices microscopiques dans le système nerveux central. Ce tableau est rigoureusement cohérent avec votre histoire. Le casque protège des lésions graves mais pas de commotions ! C’est bien validé, notamment au football américain.
Gilles : Que faut-il faire ?
Le Doc : Je vais vous adresser en urgence au big boss de la commotion. Il prend en charge les rugbymans et les footeux professionnels. Il réalisera des tests psychomoteurs spécifiques, fins et complexes … qui seront obligatoirement perturbés ! Vous ne pourrez reprendre votre boulot, le stress et la charge mentale qui l’accompagne, uniquement quand vous aurez récupéré des évaluations normales ! Parfois, il y en a pour 3 semaines. En l’absence de repos cognitif et sportif, les symptômes peuvent se prolonger beaucoup plus longtemps !
Gilles : Et, pour l’épaule ?
Le Doc : En effet, vous avez une entorse acromio-claviculaire … mais un stade 4 ! Voilà qui correspond bien à l’énergie cinétique de votre accident ! Je vous explique. Stade 1 : petite distension du ligament superficiel. Stade 2 : rupture du ligament superficiel, persistance du ligament profond, on voit la clavicule qui monte un peu. Stade 3 : ligament superficiel et profond déchirés, la clavicule monte et bouge aussi horizontalement. Stade 4, lésions massives surajoutés du deltoïde, le beau muscle galbé de l’épaule qui assure la stabilisation active de l’articulation entre l’omoplate et de la clavicule. Cette fois, le bras n’est plus du tout relié au buste ! Il pèse de tout son poids et on décrit comme un coup de hache sur l’épaule …
Gilles : Et ça guérit en combien de temps ?
Le Doc : Mauvaise nouvelle ! Vous l’avez compris les tissus lésés ne sont plus en contact, ils ne peuvent plus cicatriser ! Il faut vous opérer ! Surtout pour vous qui souhaitez retrouver le bon geste en crawl ! Il s’agit d’une chirurgie relativement complexe et là encore, je vais vous trouver une place rapidement chez un spécialiste de l’épaule du sportif !
Gilles : Et, je pourrais reprendre à l’issue de quel délais ?
Le Doc : Le sport ou la compet ? Le sport très vite … vous savez c’est notre contrat local avec votre Doc du sport. Vélo à dossier, en salle, 4 à 5 jours après l’opération. Home trainer en appui sur le cintre à 3 semaines. Course à pied avec le balancier des bras à 6 semaines. Vélo de route prudent à 2 mois. Piscine en brasse à 3 mois, en crawl à 4 mois. Et la compétition, avec un départ dans la machine à laver et en tirant fort sur les bras, à 6 mois !
Gilles : … donc ma saison est foutue ! Moi qui m’investis toute l’année pour rester en forme ! C’est dur !
Le Doc : On avise pour une épreuve de course à pied, éventuellement une cyclosportive en fin d’été. Mais pour le triathlon ça me semble compromis. Et, c’est vrai que votre gain de temps de 15 minutes par trajet peine à rembourser les 6 mois perdus !
Gilles : Me voilà contraint de me réconcilier avec la ligne 1 … ça tombe bien, je suis fâché avec le vélo taf ! Et c’est une bonne chose ! Je viens de lire les chiffres de la sécurité routière : + 30% de mortalité chez les cyclistes en 2022 ! Et, elle justifie cette envolée par l’engouement pour le vélo taf !
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