Crampe n’est pas claquage mais cela témoigne d’un effort musculaire inadapté à l’état musculaire du moment et de la souffrance musculaire qui s’ensuit. Le bon sens et quelques notions de physiologie suffisent à bien conduire son effort musculaire.
Par le docteur Sophie Duméry – membre de la commission médicale de la FFRandonnée
La « crampe » désigne une contraction musculaire intense et involontaire soit d’un muscle, soit d’un groupe de muscles exerçant la même fonction. Elle s’auto-déclenche par réaction à une stimulation locale. Bien connue des sportifs d’endurance (70 % d’entre eux en souffrent un jour ou l’autre), la crampe touche essentiellement les membres inférieurs lorsque l’effort musculaire demandé dépasse brutalement le niveau d’entraînement. Elle peut survenir aussi lors d’un mouvement inhabituel chez une personne sédentaire dont les muscles ne sont pas exercés, ou la nuit. Elle n’entraîne pas de lésion des fibres musculaires et cède spontanément en quelques minutes ; mais on peut étirer doucement et passivement le muscle pour le relâcher plus rapidement et souffrir moins longtemps.
Un degré de sévérité au-dessus, la « contracture » persiste plusieurs jours, voire plusieurs semaines ou mois. Le cordon musculaire contracté est palpable et fait mal. Le muscle refuse de se relâcher : cela concerne le médecin, en particulier celui du sport, qui le constate à la reprise d’un entraînement sportif mal calibré après une période de repos ou lorsqu’on élève le niveau d’effort brusquement. Les fibres musculaires ne doivent pas être étirées à la sauvage, ce qui provoquerait des microlésions, voire plus.
Ces cordons musculaires en tension permanente ne constituent pas l’apanage des sportifs. Ils font partie des troubles musculo-squelettiques des professions à gestes répétitifs et avec une position du corps non ergonomique. Il suffit de se crisper des heures devant un écran d’ordinateur et son clavier pour en créer !
Les courbatures apparaissent progressivement soit en cours d’effort prolongé, soit après généralement dans les 48 heures. Courbatures des randonneurs du week-end qui ont forcé par rapport à leur niveau d’entraînement, elles disparaissent en quelques jours. Sans lésion musculaire, elles ne laissent pas de séquelles ; c’est un phénomène inflammatoire réactionnel, typique des mouvements répétitifs et prolongés avec des muscles insuffisamment préparés à l’endurance demandée (qui peut être modeste chez les sédentaires patentés).
Une crispation musculaire, sportive ou non, dépend largement du tonus musculaire de repos. Car tout muscle est intimement relié à la moelle épinière et au cerveau par son nerf. C’est un duo sans divorce possible qui maintient une tension de fond pour que le corps ne soit pas une poupée de chiffon dès qu’on cesse de lui donner des ordres volontaires. Ce tonus involontaire et automatique est indispensable à la station debout et au mouvement harmonieux. S’il est normal, la longueur du muscle au repos est bien celle de l’équilibre neuromusculaire.
En cas de tension nerveuse ou de maladie neurologique, il peut augmenter, entraînant le raccourcissement permanent du muscle. Il peut au contraire s’affaisser (lors d’une atteinte paralysante des nerfs ou d’un malaise vagal par exemple) : les muscles sont alors totalement mous et relâchés, donc plus longs.
L’entretien de sa santé générale limite donc les perturbations du tonus neuromusculaire de fond. Parmi les premiers conseils : supprimer le tabagisme et les drogues dites « récréatives » (de synthèse ou pas), très mauvais pour le système cardio-vasculaire qui irrigue et nourrit les muscles.
Apprendre le relâchement musculaire : la mise au repos des préoccupations personnelles n’est pas aisée. C’est d’ailleurs pour cela que nombre de personnes randonnent. Elles s’exposent donc au début de leur activité à plus de troubles musculaires si elles ne calculent pas leur effort en fonction de leur crispation générale. Et d’autant plus qu’elles se défoulent en recherchant l’effort qui vide le cerveau. La rançon en est crampes, courbatures, voire de vraies contractures, qui s’ajoutent à celles qu’elles ont déjà en commençant leur effort ; les tensions mentales se lisent dans les contractures du dos, il n’est pas souhaitable d’y ajouter des contractures des membres…
Depuis le temps qu’Homo sapiens souffre de crampes, il a cherché à les éviter. Au XXIe siècle la science débat toujours. Les théories se distinguent mais le plus logique est que les causes s’ajoutent. De plus, il faut compter avec ses caractéristiques personnelles, en particulier la typologie musculaire génétique et individuelle. Selon le type de fibres (rapides/puissantes, lentes/endurantes, intermédiaires/mixtes pour tout faire), les muscles sont plus ou moins adaptés à l’effort demandé. Cela se modifie avec un entraînement calculé mais ne change pas vraiment la typologie personnelle de base.
Il y a les profils « à crampes pour presque rien » et les profils « jamais de crampes sauf situation extrême ».
Voici une liste de circonstances où les crampes à l’effort s’observent fréquemment, qu’il vaut mieux ne pas cumuler :
Vieillir est en soi un surrisque de crampe du fait de la réduction spontanée de l’activité physique quotidienne (qu’il faut combattre obstinément), ainsi que le cumul de lésions musculaires sportives, un surpoids ou une obésité.
En endurance, les étirements musculaires hebdomadaires négligés augmentent significativement les crampes (encore faut-il savoir s’étirer), ainsi qu’une longue course chez une personne à faible performance (surestimation des capacités).
La correction est simple et de bon sens face à ce qui précède : adaptation de l’entraînement (se botter le derrière pour s’y appliquer avec régularité), calcul prudent de l’effort demandé (ne pas viser l’exploit), choix judicieux du lieu et de la saison de la randonnée (éviter le froid polaire, la canicule estivale).
Il faut aussi lire les effets indésirables de ses médicaments pour une maladie chronique, et en parler à son médecin pour anticiper le risque de crampes en fonction de la randonnée envisagée. Si le risque est avéré pour la personne, la récidive de la crampe est prévisible. Il faut adapter le traitement ou la randonnée, ou les deux, de manière concertée.
La crispation rageuse sur le matériel étant facteur de crampes, la marche avec bâtons de randonnée s’apprend, pour ne pas s’empêtrer dedans et chuter au risque de vilaines fractures (ne pas mettre la dragonne).
Les chemins de randonnée sont une agence matrimoniale à ciel ouvert, c’est un fait. On peut y commencer une grossesse mais dans tous les cas la discussion préalable avec son médecin est souhaitable pour savoir ce qui est le plus pertinent d’une contraception efficace ou d’une conception champêtre…
Elle réduit le volume sanguin musculaire même si le corps le préserve autant qu’il peut en réduisant les urines et la circulation digestive. Cela entraîne localement un manque relatif d’oxygène et de nutriments (sucre), une augmentation des déchets d’oxydation (métabolisme producteur d’énergie), une réduction de l’équilibre thermique local (assuré d’abord par la circulation sanguine). Pour faire court et frappant : le muscle s’asphyxie, s’empoisonne et cuit à feu vif. N’attendez pas ce stade pour réagir, adaptez votre boisson. La gourde d’un litre doit être vidée et remplie régulièrement. Il faut en conséquence des WC improvisés ou officiels à intervalles utiles sur l’itinéraire, car celui qui n’urine pas n’a pas assez bu et ses muscles s’en vengeront par des crampes peut-être, et certainement par de longues courbatures.
Ce grand marché de la supplémentation pour sportif est plein de traquenards, coûteux. Les boissons sportives avec des oligo-éléments, sel, poivre, muscade, ne sont pas indispensables. Parfois, elles intoxiquent par surcharge inappropriée alors que l’hydratation est insuffisante pour leur dilution et leur régulation hépatique et rénale. Ne jouez pas au diététicien, consultez-en si nécessaire.
Une alimentation diversifiée suffit en randonnée banale, non extrême, avec des collations toutes les deux heures environ. Cette diversification se prend le soir et aussi au petit déjeuner : « soupe du matin maintient le train ». Pas à la mode mais efficace.
Enfin aucun alcool n’est bon pour les muscles, particulièrement à l’effort ! L’apéro (très modérément) c’est à l’étape, au chaud et au repos.
Le torchon brûle entre les adeptes des étirements avant, pendant ou après un effort sportif et ceux qui privilégient l’échauffement progressif du muscle à température ambiante. Le fait est que les étirements pratiqués sur des muscles qui ont travaillé augmentent les microlésions musculaires. Ces dernières stimulent la régénération musculaire mais ce mécanisme a des limites. La recommandation « officielle » médicosportive est de pratiquer les étirements à distance de l’effort au moins deux ou trois heures, au chaud et passivement, en respectant la limite impérative de la douleur.
En conséquence, un randonneur avisé démarre sa marche doucement pour se mettre en jambes dans les 10-15 premières minutes. Puis il accélère pour atteindre l’allure prévue. S’il l’a mal calculée, ses muscles couineront rapidement. Réduire la vitesse s’impose car aucune boisson supplémentaire ou complément sportif ne réduisent la fatigue musculaire par manque d’entraînement. Pas de magie à attendre contre l’impréparation du sédentaire !
La prévention spécifique des crampes par des séances d’étirement se fait deux ou trois fois par semaine au repos, au chaud, en ciblant particulièrement les muscles qui travaillent le plus en randonnée : mollets, cuisses (face antérieure = quadriceps) ainsi que les fessiers qui redressent le tronc et le sac et maintiennent le bassin à l’horizontale durant le pas, le trot et la course. On évite ainsi non seulement les crampes mais aussi les tendinites.
La première crampe annonce généralement les suivantes, très rapprochées. Car ce qui l’a causée a peu de chance d’être corrigé immédiatement : canicule, manque d’entraînement, etc. La déshydratation exige une heure de remplissage par multiples gorgées d’eau en se rappelant que la soif apparaît quand il en manque déjà un demi-litre. Une pause d’une heure est longue. Si l’on repart bien avant, il faut compenser les pertes hydriques précédentes et les nouvelles en même temps. En outre, les étirements doux ne sont efficaces que sur le moment. Le mouvement ayant provoqué cette contraction musculaire intense et intempestive le reproduira ; or ce mouvement, c’est la marche. Il faut donc dans tous les cas réviser l’allure, la distance de l’étape, l’itinéraire… voire arrêter sa randonnée sans honte. La modestie est une qualité, comme la prudence, en randonnée pour ne pas faire d’une sortie un calvaire, qui peut mal finir…
Quand l’hydratation et l’alimentation sont correctes et adaptées à l’effort, que l’entraînement est bien fait pour atteindre le niveau souhaité de performance musculaire, mais que les crampes persistent et sont fréquentes, il faut consulter un médecin. De nombreuses maladies provoquent des crampes, ou ce qui s’y apparente, surtout neurologiques, toxiques et métaboliques. Le médecin traitant (surtout expérimenté en troubles sportifs) ou le médecin du sport, sauront tiquer sur une crampe qui n’est pas strictement liée à l’effort musculaire sportif. Ils adresseront le patient au spécialiste concerné pour un diagnostic précis et une prise en charge rapide.
Les maladies qui provoquent des neuropathies (atteintes durables des nerfs) sont à risque de crampes : diabète, alcoolisme, par exemple. En provoquant une faiblesse neuromusculaire ici ou là, les neuropathies favorisent la crispation du muscle antagoniste du muscle affaibli, par déséquilibre de la tension entre extenseurs et fléchisseurs par exemple.
Les rhumatismes peuvent aussi léser les nerfs à proximité par l’importance des molécules inflammatoires qu’ils larguent localement. C’est parfois suffisant pour favoriser une crampe dans un ou des muscles, toujours les mêmes. Ainsi, une sciatique « chronique » modifie l’équilibre des muscles que le nerf sciatique commande : cette jambe-là crampera plus facilement avec le temps.
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