Comment bien choisir sa chaussure de randonnée?

Comment bien choisir sa chaussure de randonnée
Comment bien choisir sa chaussure de randonnée

Rapidement l’Homo sapiens s’est chaussé pour protéger son indispensable mobilité, avec plus ou moins d’efficacité et de confort. Les techniques industrielles ont beaucoup progressé, mais le résultat est parfois plus vanté que réel. Choisir ses chaussures de randonnée ne s’improvise pas. L’expérience du vendeur et surtout du marcheur est indispensable.

Par le docteur Sophie Duméry, membre de la commission médicale de la FFRandonnée

Des pieds pour le meilleur et le moins bien

Il existe trois formes canoniques du pied. Le pied égyptien est le plus fréquent, où le gros orteil est le plus grand, le deuxième est plus petit et ainsi de suite. Le pied grec a un deuxième orteil plus grand que le premier ; les autres vont en décroissant vers le dernier. Le troisième canon est le pied dit « carré », ou « auvergnat », où les trois premiers orteils sont au même niveau (schéma 1).

Shéma 1: les trois formes canoniques du pied
Schéma 1: les trois formes canoniques du pied

Selon l’activité physique, le canon pédieux se révèle plus ou moins favorable. Le pied carré avantage les danseuses sur pointe. Le pied grec ou des métatarsiens trop longs ou trop courts exposent à des conflits pied/chaussage et à des anomalies statiques. Car le pied est notre premier appui : sans sa parfaite « coopération », tout le squelette souffre.

Notre pied d’aujourd’hui est un pied plat de primate qui s’est creusé. Les appuis d’un pied normal lors du déroulement du pas ou de la foulée (schéma 2) sont le talon, le bord externe et la barre antérieure (ou palette des têtes métatarsiennes) et le gros orteil qui finit le mouvement de propulsion.

Schéma 2: Les points d'appui-osseux
Schéma 2: Les points d’appui-osseux

On obtient ainsi un triangle de propulsion et un triangle d’appui à trois arches (schéma 3) : une arche intérieure entre la tête du 1er métatarsien (gros orteil) et le talon, une arche externe moins creuse entre la tête du 5e métatarsien (petit orteil) et le talon, une arche antérieure moins visible à l’œil nu entre la tête du 1er métatarsien et celle du 5e métatarsien.

Schéma 3: les triangles mécaniques
Schéma 3: les triangles mécaniques

L’altération d’une de ces arches peut faire capoter l’ensemble lorsqu’un 2e, un 3e ou un 4e orteil se distingue. La répartition optimale de la charge corporelle tient en équilibre, statique et dynamique, sur un ou deux pieds, pour un coût énergétique minimal (schéma 4).

Schéma 4: la morphologie du pied
Schéma 4: la morphologie du pied

Le podologue pour tous ?

Tout aspirant à la pratique sportive intense et régulière doit monter sur un podoscope (boîte transparente à miroir) pour un examen statique et dynamique (appui sur un pied, demi-pointes, déroulé du pas). Cela se passe chez le podologue, l’orthopédiste ou le médecin du sport. Cette analyse de l’empreinte plantaire vérifie la bonne répartition des zones de pression et objective ses défauts. Cet examen s’impose d’autant plus que l’expert fabrique des compensations si besoin, telles que des orthèses plantaires : semelles thermoformées à placer dans les chaussures de marche. Il existe aussi des orthèses d’orteils.

Répéter les visites chez le podologue n’est pas indispensable quand les compensations nécessaires ont été identifiées et réalisées. Il n’y a que chez les enfants et adolescents en croissance que la consultation régulière est conseillée, de même que chez les malades en évolution dont les pieds paient un tribut à la maladie (diabète, artérite, algodystrophie), ainsi que lors des déformations de la vieillesse. Au total, tout ce qui évolue doit être surveillé et les conflits anticipés pour un bien-être maximal, sportif et quotidien.

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Le B.A.-BA du soulier et de la marche

La paire de souliers parfaite est celle qu’un chausseur/cordonnier fait sur mesure. Car les pieds sont uniques ; le droit et le gauche ont même leur forme particulière qui évolue au long de la vie (déformations, traumatismes). Dans ces conditions, comment se chausser en prêt-à-porter industriel ? Sur le marché de la randonnée, du trek, de la course ou du trail, les industriels offrent un grand choix selon le sexe, la taille et la forme du pied, et selon le terrain. Mais il ne faut pas se fier au jargon technique qui flirte avec l’embrouille marketing : la réflexion est nécessaire, l’essayage aussi. Chaque fabricant a ses modèles : il faut parfois du temps pour trouver ce qui convient le mieux à la marche, en appui dynamique.

  • Pas d’achat sur Internet, mais en boutique, en fin de journée quand les pieds ont gonflé : avec la paire de chaussettes qu’on porte habituellement dans ses chaussures de randonnée. Le pied doit être à l’aise, même après 10 minutes de gesticulation sur place.
  • Le gros orteil doit disposer d’un demi à un centimètre d’espace avec le bout de la chaussure. Les pieds droit et gauche n’ont pas la même longueur : donnez un demi-centimètre de marge à l’avant du gros orteil du pied le plus long. L’autre ne se plaindra pas de l’espace supplémentaire…
  • Veillez au confort de l’avant-pied, plus large chez les hommes: c’est un appui majeur à la marche (triangle de propulsion, cf. schéma 3).
  • Ne mégotez pas sur le prix. Ne vous laissez pas avoir non plus. La paire doit vous faire au moins 1 500 km avant de perdre ses caractéristiques de sûreté, protection et maintien. Sachez racheter une paire quand elle est usée, ne marchez jamais dans des souliers dégradés : les blessures guettent, ainsi que les chutes.
  • Quand un modèle vous convient, n’en changez pas par effet de mode ! Le mieux est (toujours) l’ennemi du bien. C’est possible tant que le fabricant honore son catalogue dans la durée. Si ce n’est plus le cas, un revendeur compétent doit vous fournir un modèle approchant au maximum de ce qui vous va.
  • Savoir ce que sont une chaussure et un chaussage évite d’être baladé par un commercial qui songe d’abord à sa commission. Le plus cher n’est pas le meilleur pour vous ! Ne prenez pas d’option dont vous n’avez pas l’usage ou le bénéfice dans vos programmes de marche. « Bidulette » est le modèle idéal pour l’Altiplano bolivien ? Que vous importe si vous vous contentez d’explorer les monts du Forez, qui vous réservent d’ailleurs des surprises…

Les éléments essentiels du choix de la chaussure de randonnée

La tige

C’est la partie montante de la chaussure au-dessus de la semelle et des renforts de pourtour, qu’on lace. Haute, elle dépasse les malléoles pour une bonne prise de la cheville, plus sûre en « hors sentier », mais moins de liberté de mouvement et moins de confort en longue distance. Basse, elle dégage la cheville qui garde sa liberté et son confort au risque de se tordre si les haubans musculo-tendineux ne sont pas entraînés ; c’est la favorite des traileurs. Les tiges intermédiaires tentent le mariage du maintien, du confort et de l’adaptation au terrain. À préférer pour commencer sur des chemins peu accidentés.

Matériau

Le cuir n’a rien perdu de son attrait. Imperméable s’il est bien traité/graissé, séchant vite et résistant à tout ou presque, c’est l’ami des grands treks et des itinérances montagnardes. Mais il est lourd et chaud. Les matériaux synthétiques plus légers savent séduire, quitte à durer moins longtemps et ne pas dépasser les 1 000-1 500 km. Mesurez bien le rapport qualité/prix. Autre notion qui compte : ils prennent l’eau, un vrai défaut en itinérance. La mention Gore-Tex® (traitement respirant mais imperméable) n’est pas une garantie tout terrain en tout temps.

Pointure

Une demi-pointure, voire une pointure, de plus que dans les chaussures de ville est une sécurité : le pied gonfle au cours de la journée. Attention, le frottement sur la chaussure à la marche dépend de la qualité du laçage plus que de la pointure en soi.

Semelle externe

Les gommes de caoutchouc sont de robustesse variée (comme les pneus) pour s’adapter au terrain (rochers). Elles sont crantées différemment et font l’objet de brevets. Vibram® est célèbre, mais ce label n’est pas seul à offrir un bon accrochage au sol. Plus la semelle est large, plus elle est confortable et souple. Ce qui diminue la sûreté lors de passages techniques en terrain instable et accidenté : les semelles rigides, plus étroites, sont préférables en montagne pour cette raison.

Semelle intermédiaire

Elle amortit les chocs et la torsion gauche/droite (selon l’axe longitudinal). Un bon amortissement réduit le risque de fractures de fatigue. Mais la rigidité à la torsion doit convenir à l’usage prévu : moins de confort en itinérance longue (cf. la hauteur de tige).

Semelle interne

Elle concourt, ou pas, au soutien des arches plantaires. Les fabricants en proposent de plusieurs types. Là aussi le mieux est l’ennemi du bien. Les seuls défauts à compenser (pieds plats, creux, etc.) sont dynamiques, d’autant plus que les randonnées sont longues et exigeantes. C’est l’affaire du podologue : si nécessaire, il fabrique des semelles intérieures personnelles (orthèses plantaires thermoformées), à mettre à la place des industrielles.

Laçage

Tout un art ! Il commence sur le coup de pied, se poursuit à la base de la cheville par une paire de crochets autobloquants (en tige haute et intermédiaire), là où se joue la puissance du laçage. Les crochets supérieurs permettent de fixer la cheville (talon calé à l’arrière) et d’éviter les frottements pied-chaussage, là où se joue la survenue d’ampoules. Le lacet rond glisse plus que le plat mais s’use moins vite. Il existe des lacets « bloquants » à bourrelets.

Chaussettes

Les fibres techniques sont championnes… du discours publicitaire. Les meilleurs fabricants tiennent leurs promesses. Le surcoût vaut la peine quand le tissu glisse bien sur la chaussure, surtout quand on sue dedans. Ce glissement de la chaussette même humide évite à la peau le cisaillement qui la brûle et qui provoque des ampoules. La minceur du textile désencombre le chaussage laissant de la place au pied. Mais attention au froid ! La laine a des atouts à faire valoir. Rappelons que le laçage est fait pour adapter le volume chaussant au pied « chaussetté » sans l’étrangler.

Hygiène du ménage à trois

Les soins indispensables du marcheur demandent 20 à 30 minutes quotidiennes pour chaque pied et chaque orteil. Le pied ne se conçoit qu’avec son soulier. Les chaussettes ferment le ménage à trois qu’on traite ensemble, sinon rien.

Les pieds se lavent sans macération (pas de bains) entre les orteils, se sèchent entre les orteils, se massent entre les orteils avec une crème cicatrisante (ou des huiles essentielles anti-infectieuses). Les ongles sont inspectés, coupés, limés. Traitez systématiquement contre les mycoses avec un antifongique une à deux fois par mois : poudre, lotion et pulvérisation sont disponibles à la pharmacie sans ordonnance.

Les chaussures subissent le même traitement : elles se lavent et se sèchent (chaussures techniques actuelles) et s’enduisent à l’intérieur d’antifongique. Utilisez la même lotion/pulvérisation que pour les pieds dans toutes vos chaussures : une fois par mois pour les récidivistes du pied d’athlète, tous les deux ou trois mois pour les autres. Les huiles essentielles désinfectent bien au même rythme.

Les chaussettes sont changées tous les jours, lavées et séchées puis pulvérisées avec un antifongique et gardées 24 à 48 heures dans un sac poubelle fermé pour une bonne imprégnation.

En entretien les huiles essentielles sont efficaces sur les chaussettes et dans leur tiroir.


Grand dol pédieux au royaumede France

Depuis 2003, l’Union française pour la santé du pied (UFSP) organise chaque année, au mois de mai, une Journée nationale de dépistage et de prévention des troubles des pieds (www.sante-du-pied.org). Son Observatoire publie un bilan annuel.

En 2018, 74 % des Français se plaignaient des pieds, 50 % avaient des troubles de leur morphologie. La consultation du podologue n’est pas un luxe, même si les soins podologiques ne sont généralement pas pris en charge par l’assurance maladie ; les orthèses (semelles et dispositifs correctifs des appuis anormaux) sont, elles, remboursées sur prescription médicale.


Chaussures de ville contraires à la marche ?

En France, les largeurs de chaussure adulte sont petites, particulièrement pour les femmes dont le pied est naturellement plus étroit. « La longueur disponible à l’intérieur de la chaussure augmente de 6,66 millimètres à chaque pointure supplémentaire et la largeur la plus grande de l’avant-pied augmente de 5 millimètres », explique le Dr Alain Goldcher, rhumatologue spécialisé en podologie (hôpital de la Pitié-Salpêtrière, Paris). Entre 12 et 16 ans, le pied atteint sa pointure définitive. « Ceux qui ont un avant-pied plus large que la norme industrielle optent souvent pour une pointure supplémentaire ; ce qui favorise les frottements et ampoules au talon », prévient le médecin, qui tient à combattre quelques idées reçues.

  • Un bout pointu n’est pas néfaste si le dessin de la chaussure respecte l’alignement du gros orteil et de l’os qui le précède (1er métatarsien).
  • Les coutures sur la tige ne sont pas nuisibles si le volume du chaussant respecte celui de l’avant-pied et si la tige bénéficie d’une doublure.
  • Un talon haut n’est pas déconseillé si le dénivelé de la semelle arrière/avant (aussi appelé « drop ») est inférieur à 5 centimètres, surtout si l’assise ne dépasse pas une pente de 10°.

Retour aux pieds nus ?

Le retour aux modes de vie traditionnels fait redécouvrir les vertus des pieds nus. Christopher
McDougall, journaliste américain et marathonien, fut stupéfait par la tribu mexicaine des Tarahumaras qui courent comme des lapins en sandalettes sans souffrir des blessures du chaussage. Il en publia Born to Run en 2009, best-seller durable dans le milieu des runners. Mais on ne passe pas sans transition d’un mode à l’autre ! Et les blessures par l’environnement sont à considérer.

La course/marche pieds nus diffère de sa version chaussée dans le déroulement de la foulée. L’attaque du sol ne se fait pas par le talon, trop brutale pour l’os, mais par le milieu du pied (médio-pied). Cela implique un réapprentissage musculaire, assez long, de l’amortissement par les mouvements de flexion/extension du pied sur la cheville et, plus haut, par la flexion/extension du genou qui reste légèrement fléchi, surtout en mode course.

Les industriels se sont adaptés et proposent des chaussures minimalistes caractérisées par une semelle extrêmement fine, une très grande latitude laissée à la cheville, au pied et aux orteils, ainsi qu’un drop (pente de la semelle entre le talon et l’avant-pied) nul. En chaussage traditionnel sportif, le drop est de 12 mm. Il est minimaliste à 4 mm et moins.