Le trail, l’avenir de la course à pied ?

Le trail, l’avenir de la course à pied
Le trail, l’avenir de la course à pied

L’organisation des courses nature explose ces dernières années dans l’Hexagone. Renforcé par la crise sanitaire, le phénomène répond à une vraie demande sociétale. Une tendance qui devrait s’accentuer encore à l’avenir.

Par Cyril Pocréaux, journaliste spécialisé dans le sport

Ce sont deux images d’épinal que tout oppose.

Le confinement cloîtré sur le canapé, le couvre-feu qui prive de liberté. Et, en face, les grands espaces, la nature, la découverte et l’activité physique. Le trail, ces grandes courses nature en plein essor depuis une quinzaine d’années en France, offre un contrepoint saisissant à la crise sanitaire et à tout ce qu’elle véhicule comme contraintes. Dans un pays où la densité de courses sur route par habitant est l’une des plus importantes au monde, et où près de neuf millions de personnes disent pratiquer le running, la tendance ne cesse de se confirmer. Une sorte de révolution culturelle. « D’après nos bases de données sur les organisations de courses, on enregistre de plus en plus de trails en comparaison avec les épreuves sur route, pointe Adrien Tarenne, en charge du développementrunning à la Fédération Française d’Athlétisme. En 2019, on comptait quelque 4 700 courses sur route pour 4 500 trails sur l’année dans l’Hexagone. En 2020, les trails sont devenus plus nombreux, même si la crise a évidemment impacté les organisations : le confinement a surtout touché les périodes de pratique de la course sur route, et les autorisations étaient plus difficiles à obtenir en ville. »

Un argument porteur de perspectives

Et qui ne date pas de la pandémie : « Aujourd’hui, il est plus facile d’organiser un trail, estime Adrien Tarenne. Certes, à cause des contraintes sanitaires : moins de promiscuité au départ, un espacement des coureurs plus important, plus naturel et plus simple à mettre en place si besoin. Et vu qu’il y a moins de problèmes de cohabitation avec les voitures sur un trail que sur route, les autorisations préfectorales sont moins compliquées à obtenir qu’en zone urbaine. Mais si la pandémie a été un accélérateur du phénomène, elle traduit une réorientation à laquelle on avait déjà assisté après les attentats qui ont frappé le territoire. Les contraintes administratives ou de sécurité sont de plus en plus fortes pour les organisateurs. Ça les fait réfléchir. On voit régulièrement depuis deux ou trois ans des organisations qui passent d’un semi ou d’un 10 km à une course nature. »

La logistique n’est pas le seul argument du trail pour séduire

Loin s’en faut. Besoin d’évasion, distance avec la sanction du chrono : les atouts de la discipline sont nombreux. Erik Clavery, 40 ans, champion du monde de la discipline en 2011 et toujours actif sur les sentiers : « Je ne suis pas surpris par ce succès, non, car les gens ressentent de plus en plus l’attrait de la nature. » Et la spécialité semble taillée sur mesure pour répondre à ce besoin. « Le trail, c’est une découverte de paysages dont on n’a pas l’habitude quand on court sur route. Mais c’est aussi une découverte de soi-même. On ressent plus l’effort que le chrono, la course est rythmée par l’environnement. C’est une quête de sensations, un retour sur soi et une découverte. Un état d’esprit. » Adrien Tarenne abonde. « On constate une vraie demande des gens pour les espaces naturels. Et, chez les pratiquants, la volonté de se détacher de la notion de compétition. Toutes ces valeurs symboliques, ils les retrouvent avec le trail. »

D’autant que ces concepts s’incarnent concrètement dans les leaders de la discipline, qui font de leurs exploits un succès récurrent dans les médias ou sur les réseaux sociaux.

« Aujourd’hui, les plus grands ambassadeurs du running viennent du trail, assure Adrien. Ce sont des Kilian Jornet (ndlr : l’Espagnol est considéré comme l’une des plus grandes stars de l’histoire de la discipline) ou des François D’Haene (ndlr : le Français multiple vainqueur de l’ultra-trail du Mont-Blanc) que suivent les gens sur les réseaux, y compris les coureurs sur route d’ailleurs. Ce sont eux qui les inspirent. Les meilleurs traileurs sont plus connus que les finalistes olympiques du marathon… » Erik Clavery ne le démentira pas. « Cet impact, je l’ai constaté l’année dernière, lors de mon record de traversée des Pyrénées par le GR 10. Je partageais des vidéos, des photos, j’étais géolocalisé, et je me suis rendu compte que beaucoup de gens me suivaient. Certains m’ont dit que ça les inspirait et les incitait à aller courir en montagne, alors qu’ils n’en avaient pas l’habitude. »

Cet appel d’air pousse la FFA à inventer le trail de demain.

« Vu cet engouement, qu’est-ce qu’on imagine pour la suite ?, s’interroge Adrien Tarenne. On se rend compte par exemple que le trail permet des formats de course nouveaux et différents : des départs en contre-la-montre pour éviter les courses en peloton, ou un segment GPS que les participants peuvent effectuer quand ils veulent, sur une durée de quelques jours, en enregistrant leur trace via les applications. On peut facilement imaginer un cahier des charges pour ce type d’organisation en pleine nature. C’est beaucoup plus compliqué sur route ou en ville. »

En poussant la réflexion plus loin – et certains offices de tourisme locaux ou régionaux en ont déjà saisi l’intérêt – le trail et ses parcours labellisés par la FFA peuvent représenter un atout pour l’économie locale. Erik Clavery en mesure le poids. « Avec les restrictions sanitaires qui compliquent les voyages, les gens se rabattent sur notre territoire et se tournent davantage vers la montagne et le trail. Il y a là un vrai enjeu touristique et économique pour les régions qui peuvent proposer cette offre. En Pays de la Loire, où je vis, nous avons déjà trois parcours labellisés Uni’vert Trail, et d’autres demandes nous arrivent encore. Pour les gens de l’extérieur, avoir un parcours balisé et reconnu, c’est un plus. »

Et il ne s’agit pas forcément, ici, de s’avaler 80 kilomètres d’un trait en courant.

« Cela concerne aussi la marche nordique, ou des tracés plus courts. Pour moi, que ce soit sur 5 ou 180 km, en plaine ou en montagne, tant qu’on est dans la nature et quel que soit le terrain, on peut parler de trail. Et cela s’adresse vraiment à tous les publics – plus que la route, d’ailleurs. Il ne faut pas se mettre de carcan. Que ce soit dans le Nord ou les Alpes, on peut découvrir plein de territoires en famille par ce biais. »

Les touristes ne sont pas les seuls concernés par le développement de ces sentiers balisés. « On veut ouvrir l’horizon de l’athlétisme, conclut Adrien Tarenne. C’est un aspect très important pour les gens qui veulent courir sans avoir de stade à disposition. »

La démocratisation par la nature, en somme.