Le sport constitue un environnement favorable aux troubles du comportement alimentaire (TCA), ou des conduites alimentaires. En effet, la sportive et le sportif présentent des attitudes qui peuvent amener à l’apparition de ce trouble : pratique excessive, anxiété liée à l’absence de pratique, contrôle du poids pour garder la forme ou maintenir ses performances, attention particulière sur sa prise alimentaire en limitant ses apports, à l’affût de conseils alimentaires, mesure comparative avec les autres sportifs, pression de résultats, pression de la part des coéquipiers ou de l’entraîneur, exigences accrues à l’entraînement et sur la préparation… Cette liste rassemble la plupart des éléments que l’on rencontre chez les sportifs présentant des troubles alimentaires. À cela s’ajoute la part psychologique qui est déterminante dans le déclenchement des troubles du comportement alimentaire.
Par Olivier Coste, médecin du sport membre de la commission nationale médicale de la FFTri à Montpellier ;
Nicolas Sahuc, diététicien spécialisé dans les troubles alimentaires et l’obésité attaché au CHU de Montpellier et à la clinique du Château à Garches
et Karine Noger, psychologue et directrice de l’Institut de ressources en psychologie du sport à Montpellier
Le sport constitue un environnement favorable aux troubles du comportement alimentaire (TCA), ou des conduites alimentaires. En effet, la sportive et le sportif présentent des attitudes qui peuvent amener à l’apparition de ce trouble : pratique excessive, anxiété liée à l’absence de pratique, contrôle du poids pour garder la forme ou maintenir ses performances, attention particulière sur sa prise alimentaire en limitant ses apports, à l’affût de conseils alimentaires, mesure comparative avec les autres sportifs, pression de résultats, pression de la part des coéquipiers ou de l’entraîneur, exigences accrues à l’entraînement et sur la préparation… Cette liste rassemble la plupart des éléments que l’on rencontre chez les sportifs présentant des troubles alimentaires. À cela s’ajoute la part psychologique qui est déterminante dans le déclenchement des troubles du comportement alimentaire.
En milieu sportif, le déficit d’une prise en charge pertinente des troubles du comportement alimentaire découle d’une insuffisance de dépistage généré par un manque de connaissance de ce syndrome et une absence d’outils spécifiques, et de soins appropriés.
Les troubles du comportement alimentaire renvoient à la classification DSM-V définie par l’American Psychiatric Association qui retient l’existence de 3 pathologies : l‘anorexie mentale, la boulimie et l’hyperphagie boulimique. Si de nombreux symptômes sont similaires entre les pathologies décrites dans le DSM-V et les troubles alimentaires retrouvés chez les sportives et les sportifs, la prévalence de la boulimie et de l’anorexie semble toutefois plutôt rare chez ces derniers.
Les critères cliniques du DSM-V ont été développés pour la population générale. Les sportives et sportifs sont plus susceptibles de présenter des comportements moins extrêmes développant ainsi des variantes subcliniques. Des comportements inadaptés peuvent s‘installer insidieusement dans le but de renforcer les performances par la perte de poids ou, peut-être par inadvertance, en omettant de maintenir la disponibilité en énergie au cours d’entraînement à forte intensité ou à volume important en l’absence de désordres psychologiques.
Ces variantes sont regroupées dans un type nosologique nommé « trouble de l’alimentation non spécifique (EDNOS : Eating Disorder not Otherwise Specified). D’ailleurs, cette variante semblerait la plus fréquente même dans le reste de la population.
Outre l’ignorance fréquente de ces formes incomplètes, la méconnaissance des cas sportifs peut s’expliquer aussi par l’utilisation de questionnaires peu appropriés à la population sportive. Ainsi, plusieurs questionnaires spécifiques ont été élaborés comme le Survey of Eating Disorders among Athletes (SEDA), Female Athlete Screening Tool (FAST) et Athletic Milieu Direct Questionnaire (AMDQ).
Les troubles du comportement alimentaire posent la difficulté de leur prise de conscience de la part des personnes qui en souffrent et cela de manière accrue dans la population sportive. Les sportifs ont un regard tronqué sur leur alimentation et leur poids, conditionné par un lien particulier avec le besoin de performance. L’utilisation d’outils adaptés chez les sportives et sportifs paraît une priorité pour accompagner au mieux cette population.
Un état des lieux des ressources bibliographiques et pédagogiques sur les troubles du comportement alimentaire en milieu sportif, sur les outils et méthodes de prévention et de prise en charge a été réalisé suite à l’obtention d’une aide accordée par la Fondation de France dans le cadre d’un appel à projet . Ce travail a été porté par l’Institut de ressources en psychologie du sport et les trois auteurs du présent article.
L’objet de ce travail était d’élaborer et de diffuser des documents d’information à destination des sportifs, des familles et des cadres techniques. Les résultats montrent:
En l’absence d’outil spécifique en langue française sur la prévention des troubles du comportement alimentaire chez les sportifs, un document de sensibilisation à visée des sportifs et de leur entourage a été construit dans le respect d’une démarche rigoureuse. Le groupe de travail s’est appuyé sur les étapes définies par la Haute Autorité de santé, sur les théories de l’engagement et les principes de l’éducation à la santé. Par ailleurs, un panel du public visé (sportifs, professionnels de santé, entraîneurs…) a été sollicité afin de coller au plus près à leurs besoins, attentes et spécificités.
D’autre part, la rédaction de cette brochure a été accompagnée par une relecture attentive d’un comité d’experts constitué de professionnels impliqués dans la prévention en milieu sportif et/ou les soins des troubles du comportement alimentaire.
La brochure comprend 7 feuillets (volets). Chaque volet répond à un objectif et des résultats attendus spécifiques et comprend donc des informations qui lui sont propres. Chaque volet permet au lecteur d’aller plus loin dans l’ouverture du document, de manière graduelle et jusqu’à ce que la totalité de la brochure soit consultée, afin de favoriser l’implication progressive et optimale du lecteur dans la prise en charge active de sa santé.
Ainsi, la couverture a pour objectif d’accrocher la personne qui découvre la brochure et de l’inviter dès le deuxième volet, à travers différentes situations, à prendre conscience de ses troubles si elle en présente ou à aiguiser sa curiosité pour aller plus loin. Les volets suivants exposent deux situations cliniques tirées de la réalité montrant qu’il est possible de rompre le cercle vicieux qu’est le trouble alimentaire en donnant au lecteur les outils pour y parvenir.
Une analyse de chacun des volets auprès d’une représentation du public destinataire s’est attachée au ressenti (surpris, concerné…), les éléments ayant attiré l’attention et donné l’envie de poursuivre la lecture de la brochure. Les résultats ont montré l’intérêt du public interrogé.
L’évaluation s’est terminée par une appréciation globale de la brochure. Les résultats étaient concluants puisque dans 75 à 90 % des questions posées les répondants étaient satisfaits ou tout à fait satisfaits.
Les soins dans les troubles alimentaires sont aujourd’hui bien établis. La France s’est dotée de recommandations et d’une lecture critique sur les soins à proposer. Le traitement concerne tous les points présentés en introduction de l’article : manger en quantités suffisantes nutritionnellement recommandées (voir les apports nutritionnels conseillés), limiter ou arrêter la pratique sportive, éviter la pesée excessive et l’utilisation d’objets connectés, diminuer les niveaux d’exigence, réduire la pression extérieure.
En cas de suspicion, il est nécessaire de s’appuyer sur des spécialistes soit en se rapprochant des centres d’évaluation des troubles du comportement alimentaire, soit en contactant la Fédération française anorexie/boulimie. Des structures dans chacune des régions assurent des hospitalisations de jour qui permettront une évaluation globale du sujet sur le plan psychologique et somatique. À partir de cette évaluation initiale, des recommandations seront apportées pour assurer le suivi. L’appui d’un spécialiste, ou d’une équipe spécialisée, est primordial car l’approche thérapeutique des troubles du comportement alimentaire a évolué ces dernières années.
Pendant longtemps, la diététique et la nutrition ont été mises de côté au profit d’une approche psychiatrique. Mais face à la diffusion des fake diets, le diététicien et le nutritionniste occupent aujourd’hui une place primordiale. Fréquemment, les sportifs atteints de troubles du comportement alimentaire sont réputés pour tout connaître de la diététique.
Cependant, leur approche se résume à des idées personnelles sur le fonctionnement biologique du corps humain et à un point de vue comptable des calories alimentaires sur la journée. Le diététicien et le nutritionniste vont permettre de « remettre » de la connaissance. Cette connaissance aidera le sujet à réinvestir la prise alimentaire.
Pour y arriver, il est important de changer de discours sur la reprise de poids et de sortir d’un argumentaire aussi obsessionnel que les sujets atteints de troubles du comportement alimentaire. La reprise de l’alimentation et donc du poids n’a pas pour objectif d’éviter l’hospitalisation mais de sortir de la maladie.
L’hospitalisation est souvent proposée pour encourager le sujet à la reprise de poids. Cette motivation doit plutôt se concentrer sur la sortie de la maladie. Pour la reprise de poids, il devient plus judicieux de parler de « réparation », de « reconstruction » du corps que de « prise de poids » uniquement à travers un discours empathique. Il est nécessaire d’accompagner le sujet à retrouver son poids programmé génétiquement qui est le poids référentiel dit « 0 ».
Par exemple, le poids génétique est à 50 kg, celui-ci devient le « 0 » de référence. Si actuellement le sujet est à 35 kg, alors il est à -15 kg dans le référentiel. Dans les prises en charge habituelles, le soignant, comme l’entourage, parlera d’une reprise de +15 kg, ce qui engendrera de l’angoisse. Il est préférable de s’appuyer sur un changement de référentiel et d’évoquer un delta négatif de 15 kg, ce qui est beaucoup plus aidant pour le sujet.
Dans l’anorexie mentale ou dans les troubles alimentaires non spécifiques avec perte de poids, si bien sûr la reprise de poids est souhaitable, le soin nutritionnel devra se concentrer sur les déficits énergétiques dans l’alimentation quotidienne du patient.
Cette approche permet de maîtriser la reconstruction du corps sans incidence négative sur la « reprise de poids ». Elle est plus rassurante pour le patient. Ces erreurs nutritionnelles se retrouvent aussi chez les sujets boulimiques qui par « peur de faire des crises alimentaires » vont planifier dès le matin leurs journées alimentaires.
Les apports en glucides complexes sont fortement limités, produisant ainsi des satiétés plus courtes (moins de 4 heures après le repas). La prise en charge nutritionnelle réalisée dans le cadre des soins n’aborde que rarement l’apport alimentaire sous l’angle quantitatif, c’est-à-dire la « durée » de la satiété, et se limite plutôt à une approche qualitative, c’est-à-dire à une esthétique de la nutrition qui se résume à l’équilibre alimentaire, le « sain » et le « bon ».
Le défaut d’approche, sur la dimension de la « durée », ne permet pas de lire un comportement alimentaire et provoque un fort sentiment de culpabilité concernant la peur de trop manger. Seul le « trop » est évalué par le sujet sans comprendre que c’est la « durée » dont il faut tenir compte. En voulant maîtriser son poids et son image du corps, les sportifs boulimiques ont tendance à supprimer le pain et les féculents, provoquant un déficit énergétique plus rapidement que si le repas avait été complet.
Cela induit des stratégies pour lutter contre les envies de manger qui se confondent avec les émotions (génératrices aussi de crise alimentaire), qui seront de leur côté traitées par les soins psychologiques.
Pour résumer, la dimension énergétique liée à l’alimentation doit être mise en avant et encore plus fortement chez les sportifs du fait de la forte dépense d’énergie. L’information sur le besoin énergétique pourra s’appuyer sur l’hospitalisation de jour où une calorimétrie sera réalisée. La dépense d’énergie théorique pourra donc être comparée aux apports alimentaires spontanés du sportif. L’objectif sera de réduire l’écart entre le théorique et le réel consommé.
Les troubles du comportement alimentaire revêtent une réalité insoupçonnée dans le milieu sportif et comme dans la population générale, le caractère « honteux » des troubles alimentaires limite la demande de soins. La connaissance nosologique et thérapeutique est indispensable dans l’accompagnement et la prise en charge des sportives et sportifs développant des troubles alimentaires.
La prise de conscience de ces troubles, au même titre que la population générale, par les pratiquants et leur entourage (entraîneur, professionnel de santé…), est un défi à relever. Si des questionnaires spécifiques de dépistage à visée des sportifs existent, des documents de sensibilisation, par contre, sont inexistants du moins en langue française. L’élaboration d’un tel document par notre équipe a vocation à faciliter la sensibilisation et le dépistage des troubles du comportement alimentaire en milieu sportif.
1Programme Santé des jeunes – Soigner les conduites anorexiques et boulimiques, coordonner les parcours de soins, associer les familles. 2011
2HAS. Guide méthodologique : Élaboration d’un document écrit d’information à l’intention des patients et des usagers du système de santé. 2008
3https://www.ireps.org/sante-des-sportifs
4https://www.nutritiondusport.fr/poids-performance-sportifs-et-troubles-alimentaires
7https://www.has-sante.fr/jcms/c_985715/fr/anorexie-mentale-prise-en-charge
9https://www.ffab.fr/trouver-de-l-aide/pres-de-chez-moi-carte
>> Lire aussi notre article « Comment s’alimenter en triathlon«
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