L’organisation scolaire invite chaque famille à se poser la question de l’orientation. D’abord scolaire, le choix d’une orientation est souvent le premier que font un enfant et ses représentants légaux pour donner une direction à sa vie. Cela se reproduira durant tout le parcours scolaire avant que l’enfant devenu jeune adulte ne s’insère dans sa vie professionnelle.
Par Jean-Marc SERFATY, Inspecteur Général de l’éducation, du sport et de la Recherche, Référent Ministériel aux Jeux Olympiques et Paralympiques
Le chemin très banal n’est pas celui qu’empruntent certains enfants. Ces enfants sont ceux qui ont des rêves, des rêves de médailles, de trophées, de coupes et de titres qui vont les conduire à faire des choix de vie. Ces enfants rêvent de devenir des champions. Selon les spécialités sportives, ce rêve pourrait se réaliser pour la majorité d’entre eux entre 18 et 28 ans, ce qui correspond à la plage constatée du gain des titres internationaux pour les sports inscrits au programme des Jeux olympiques.
Au moment où l’enfant fait ce beau rêve, il ne sait pas encore que cela lui demandera de s’engager dans un parcours complexe où il jouera les funambules dans une recherche d’un triple équilibre, sportif, scolaire et social. Il va donc toucher du doigt la dure réalité de l’emploi du temps d’un champion en herbe et les sélections, les examens comme des passages obligés et des obstacles à franchir pour se construire un triple parcours de réussite.
C’est autour de 8 ans que certains font ce choix de vie. Ce choix est celui de jeunes sportifs et sportives de talent qui rêvent de devenir champions et championnes, de vivre l’exploit sportif, de gagner des médailles et de remporter des titres dans un sport pour lequel ils s’entraînent et surtout qui leur permet d’éprouver de nombreux sentiments parmi lesquels le plaisir domine. On dit d’eux qu’ils sont « sportifs » parfois de manière un peu péjorative et souvent en opposition avec une volonté pourtant exprimée de trouver un juste équilibre entre le sport et les études. Ils sont bien souvent confrontés à des exigences sportives et scolaires qui ont du mal à s’organiser pour proposer un rythme de vie harmonieux et favorable à la réussite. Plus ils avancent dans leur parcours sportif, plus les charges et les intensités ont du mal à préserver un équilibre garantissant réussite et longévité pour une éventuelle carrière qui n’a pas encore commencé. Dès lors, ils vivent ou survivent dans un système qui, hier, ne proposait rien pour répondre au devoir de respect d’intégrité physique et morale essentielle à toute conduite de projet. Mener une double vie pour un double projet était la vie de champions et championnes en herbe à qui on imposait des semaines de plus de soixante heures. Partis pour chercher des médailles, ils se trouvaient trop souvent face à des choix cornéliens, source d’abandon ou de mal-être.
Alors que l’école cherche à nourrir les élèves de savoirs et à les doter de compétences pour que chacun construise son orientation et sa réussite, elle était assez démunie devant tant de diversités de besoins chez les jeunes sportifs qui faisaient un choix d’orientation parfois très précoce en l’assumant et en travaillant pour faire rayonner la France du sport sur les podiums internationaux. Car, en effet, ces jeunes sont avant tout nos étendards et dans leur tenue « bleue, blanche et rouge », ils sont la France des stades, des terrains, des gymnases, des bassins, des pistes tout autour de la planète pour faire rayonner leur patrie, sa culture, son expertise et ses valeurs.
Les clefs de la réussite résident selon les experts dans un projet de performance qui se pense dans un temps long et dans lequel la progressivité des charges et des intensités de l’entraînement sportif est directement connectée à des objectifs de résultats en compétition qui traduisent les effets de ce même entraînement. Les modèles de la performance sportive fondés sur des préparations fines dans les domaines techniques, tactiques, physiques et mentaux sont aujourd’hui combinés avec des données scientifiques et numériques prélevées et analysées au service du projet de réussite sportive. Cela vient ajouter du temps dans la place qu’occupe la part sportive au projet de vie mentionné plus haut. Des séquences relatives au suivi médical et à l’autoscopie de l’activité d’entraînement et de compétition s’imposent dans un quotidien déjà bien occupé. Au final, les experts nous disent avoir besoin de 10 ans et de 10 000 heures de formation pour former un
« Champion ou une Championne ».
« Je suis gymnaste, j’ai 11 ans, je suis élève en classe de sixième et je m’entraîne déjà 20 h par semaine »
À ces mille heures de formation sportive s’ajoutent obligatoirement celles de la formation scolaire ou universitaire qui évolue entre 24 et 30 heures en moyenne par semaine selon le niveau de scolarisation et auxquelles il faut adjoindre du travail personnel. Dès lors, la semaine du jeune sportif se transforme en une gestion minutée de temps de formations, de soins, de travaux personnels et de petits repos ne laissant que peu de place à une vie sociale, sinon dans la famille recomposée que devient le groupe d’entraînement.
« Je suis élève de sixième, je suis gymnaste et j’ai cours 26 h par semaine »
Pour autant, ce que nous observons nous laisse penser que le choix assumé renforce la capacité d’adaptation de ces jeunes. Rappelons ici que nous pouvons parler de jeunes gymnastes de moins de 10 ans comme de jeunes handballeurs de 17 ans. Pour les premiers les champions atteignent leur maturité sportive entre 16 et 18 ans quand les seconds y seront presque dix ans après les premiers. De telles charges de travail sont-elles véritablement source de réussite et de bien être ? N’y a-t-il pas un risque majeur de fragiliser l’intégrité physique et morale de ces jeunes ? La question peut légitimement être posée et la France peut se targuer de veiller à la protection de sa jeunesse quand elle vise la haute performance sportive.
L’État français a cherché depuis 1960 à améliorer les conditions de vie des sportifs de haut niveau. Cela comme une réponse à l’échec des Jeux olympiques dans lesquels la France ne glane que 5 médailles et aucun titre olympique. Les améliorations porteront sur les installations sportives, sur l’élévation du niveau de la formation des maîtres, la création de corps de professionnels dédiés et d’un réseau d’établissements publics du sport qui mailleront le territoire pour accueillir et former les jeunes sportifs de haut niveau. Il s’agira également d’inscrire dans les textes officiels la reconnaissance et l’expression des parcours de performance sportive pour s’assurer de la viabilité et de la pérennité de tous les dispositifs d’accompagnement.
Néanmoins, la faiblesse du partage de la culture de la performance sportive contribue à ne pas garantir ce projet de vie et pendant de longues années il sera organisé dans la
« mesure du possible » et à la condition du respect de l’obligation scolaire. L’équilibre tant recherché pour performer est encore fragile et les conciliations entre le sport et l’éducation sont complexes. Le temps de l’éducation est un temps long qui a besoin de stabilité et de repères quand celui de la performance sportive demande une évolution permanente pour accéder aux plus hautes marches des podiums.
Les Jeux font basculer la place du sport en France et les deux priorités nationales sont sans doute révélatrices d’un constat partagé et assumé : « Faire de la France une nation sportive ! », « Construire une France qui gagne ».
Des transformations sont attendues et la loi du 2 mars 2022 dite « Loi pour démocratiser le sport en France » installe dans son article 19 l’obligation d’aménager les parcours des jeunes sportifs pour aller à la recherche de cet équilibre, garant de l’acquisition de compétences dans les formations scolaires comme dans les formations sportives. Les organisations scolaires et sportives se combinent pour s’adapter aux besoins des jeunes sportifs en aménageant et en allégeant la formation scolaire, en exploitant la force du numérique pour un enseignement à distance et encadré, ou le développement de formes hybrides héritées de l’accélération de la création de nouveaux outils numériques. La finalité recherchée étant un juste équilibre à trouver entre les formations scolaires et sportives qui offrent une opportunité de retrouver une vie sociale et un bien-être moral et physique.
Nos futurs champions et championnes se trouvent dans nos clubs sportifs, nos écoles, nos collèges et nos lycées. Comme hier, ils sont encore aujourd’hui le reflet de ce qui est toujours recherché pour traduire une réussite dans notre société et qui passe par une formation de qualité, des choix éclairés et une insertion. Ils sont engagement, persévérance, valeurs. Ils sont autonomes, ouverts sur le monde et les autres. Ils sont pétris de rencontres interculturelles et sportives. Ils sont amitié, respect, excellence.
Ces jeunes sont au final ni plus ni moins que ce qui est recherché dans l’école de la République. Ils sont formés pour être lucides, autonomes et socialement éduqués. Ils ont juste un avantage sur les autres, la précocité de leur choix. Ce choix ne peut être un fardeau qu’ils portent jusqu’au podium mais doit être au contraire une occasion rare de faire d’eux des ambassadeurs des valeurs du sport et de la République auprès de leurs camarades. Il appartient donc aux adultes référents de faire des propositions pour aménager ce parcours et alléger le fardeau.
Une commission interministérielle permanente chargée de ces questions est née à l’initiative de la ministre des Sports et des Jeux olympiques et paralympiques en février 2023. Elle s’est déjà penchée sur la question et des évolutions sont attendues pour que des rêves d’enfants deviennent des réalités de champions.
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