Triathlon: stop aux éducatifs!

Stop aux éducatifs!
Stop aux éducatifs!

Laurent a 46 ans. Il fait du triathlon depuis cinq ans. Cette année, il a intégré un club pour progresser car ses performances ne lui donnaient pas satisfaction. Il voudrait descendre sous les 3 heures sur la distance Médium (1500 m de natation, 40 km à vélo, 10 km de course à pied). Il me consulte pour une douleur sur le tendon d’Achille.

Le Doc: Dites moi, Laurent, pourriez-vous me dire quand vous avez ressenti cette douleur pour la première fois?

Laurent: Oui, je crois que c’était juste après les éducatifs qui s’intègrent à l’échauffement de notre séance de VMA sur piste. On fait des foulées bondissantes, des skippings, des tractés, des talons-fesses et des montées de genoux et d’autres trucs dont je ne me souviens plus…

Le Doc: Ah ! Il est vrai que tous ces mouvements sont des activités dites « pliométriques » qui sollicitent beaucoup les tendons. Vous le savez, ces structures sont des cordelettes fibreuses qui transmettent la force de contraction d’un muscle à un os. Une contraction pliométrique commence par une contraction de freinage dite « excentrique ». À la réception de votre foulée, l’articulation part dans un sens et le muscle tire dans l’autre pour freiner le mouvement. Le tendon est comme écartelé. C’est le mécanisme universel des tendinites. À vélo, il n’y a que de la poussée et pas de freinage… et pas de tendinite !

Laurent: Ah ! Mais on nous demande de pousser fort sur nos appuis !

Le Doc: Bien sûr, c’est la seconde étape de la contraction pliométrique ! La contraction de décélération est si puissante qu’elle permet à l’articulation de repartir en sens inverse puis d’accélérer. Cette fois, il s’agit d’une contraction concentrique. Bref une contraction pliométrique est l’enchaînement très rapide d’une contraction excentrique puis concentrique.

Laurent: En effet, le coach réclame de vrais rebonds, comme si le sol brûlait!

Le Doc: Plus le geste est explosif, plus la structure tendineuse est malmenée. Quand le mouvement est plus lent comme à l’occasion d’un footing, les fibres du tendon ont plus le temps de s’aligner, on parle de mise en « précontrainte ». La rééducation de type Stanish illustre parfaitement ce phénomène. Pour réadapter une structure tendineuse aux sollicitations de la course, il faut lui proposer des contractions excentriques! C’est normal! Mais pour façonner le tissu sans le léser, ces contractions doivent être lentes! De cette façon, les fibres du tendon ont le temps de s’aligner dans l’axe des contraintes. Avec le travail de l’explosivité, on est aux antipodes!

Laurent: Mais ces exercices nous apprennent à courir!

Le Doc: Rien n’est moins sûr! La recherche en neurosciences a mis en évidence que ces exercices appelés « éducatifs » étaient mémorisés dans des réseaux neuronaux distants du geste spécifique. Quand vous travaillez votre éducatif, vous améliorez votre éducatif. Le transfert de l’acquis vers votre foulée naturelle est d’autant plus improbable que votre foulée est éloignée de l’éducatif. En clair, pour un sprinteur, le transfert est possible. Pour un Kényan qui a 25 km/h de VMA, il est envisageable ! Mais pour vous Laurent ! Avec vos 15 km/h de VMA et vos 10 km/h en compétition, votre geste n’a rien à voir avec une foulée bondissante… et le transfert des éducatifs est nul !

Laurent: Mais ça reste un bon échauffement ?

Le Doc: Allez, je vous donne la définition de l’échauffement :
« Il s’agit de l’activité cardio-vasculaire, locomotrice et psychomotrice d’intensité et de spécificité croissante jusqu’à retrouver les caractéristiques de l’activité envisagée. » En clair, vous marchez, vous trottinez, vous courez en accélérant peu à peu jusqu’à VMA… Du coup, avec les éducatifs, deux aspects me dérangent. Premièrement, ce type de travail réclame une intensité supérieure à celle de la VMA. C’est particulièrement évident pour les coureurs de niveau modeste. La sollicitation énergétique est plus élevée…

Laurent: C’est vrai, quand j’enchaîne ces exercices, je suis très essoufflé…

Le Doc: Et les contraintes mécaniques aussi sont plus élevées ! Votre tendon d’Achille blessé le montre aisément. Il n’aurait pas souffert si vous aviez accéléré progressivement pour atteindre 15 km/h en 20 à 30 minutes !  Deuxièmement, vous l’avez compris, ce travail technique est trop éloigné de votre foulée et il est plus difficile, il ne peut en aucun cas vous y préparer ! Les entraîneurs sont souvent trop doués génétiquement pour percevoir cet écueil. Pour eux, ces exercices sont d’intensité inférieure à VMA…

Laurent: Alors, que faut-il faire pour améliorer sa technique de course?

Le Doc: Les neurosciences nous apprennent que les mouvements automatiques, ceux que nous réalisons sans y penser, sont codés en profondeur dans le cerveau, dans des structures appelées « noyaux gris centraux » ou « voies extrapyramidales ». À l’inverse, les voies pyramidales véhiculent la motricité consciente et volontaire. Elles portent ce nom car ces faisceaux de neurones partent de la superficie du cerveau, le cortex, puis ils descendent et se regroupent en une structure plus fine à la manière d’une pyramide inversée. Le gros câble ainsi formé file vers la moelle épinière située dans la colonne vertébrale. Enfin, entre chacune des vertèbres, les nerfs sortent et viennent se fixer sur les muscles pour leur transmettre les ordres de contraction.

Laurent: Et la foulée, c’est un geste automatique ?… ou volontaire quand on cherche à la modifier ?

Le Doc: Je sens que vous avez déjà compris ! En fait, en traversant le cerveau, les voies pyramidales émettent de nombreux neurones vers les noyaux extra-pyramidaux. Ils ont pour mission de modifier volontairement les gestes automatisés. Autant votre foulée actuelle et chacun de vos éducatifs correspondent à des réseaux indépendants dans les noyaux gris centraux, autant vous pouvez modifier volontairement un geste automatique. C’est d’ailleurs la seule façon de procéder pour intégrer l’amélioration technique à votre gestuelle !

Laurent: Et en pratique ?

Le Doc: C’est très simple, courez avec votre mouvement habituel et passez en revue tous les points à peaufiner. Vous pouvez par exemple déplacer votre analyse du bas vers le haut : l’appui sur l’avant-pied réactif et furtif… puis la réduction de l’amplitude… puis l’augmentation de la fréquence… puis la poussée en arrière grâce à l’extension de hanche en sentant travailler vos ischios et vos fessiers, etc. Vous enchaînez ainsi toutes les consignes de votre entraîneur ! C’est la seule manière d’intégrer vos rectifications psychomotrices à votre foulée !

Laurent: Mais j’y pense ! C’est pareil en natation…

Le Doc: Oui tout à fait ! Les éducatifs ne sont utiles que pour vous occuper au sein d’une discipline particulièrement répétitive ! Ce sont des passe-temps pédagogiques ! 

Triathlète adepte du cardiotraining et de la musculation - Médecin du sport - traumatologue du sport - nutritionniste du sport - diplômé en entraînement du sportif - Rédacteur en chef