Votre médecin du sport a organisé « Le crazy trail de Kilian contre Liliane ». Le concept de l’épreuve était simple : donner à chacun les mêmes chances de victoire quels que soient son âge, son entraînement et surtout ses aptitudes génétiques à l’endurance ! Pour cela, il avait été décidé de surcharger les meilleurs d’un sac à dos dont le poids permettrait d’égaliser la VO2max/kg des concurrents.
Dans ces conditions, vous comprenez le nom de cette compétition. Liliane DURAND, 64 ans, pratiquant la marche nordique 3 fois par semaine, a la capacité de ravir la première marche du podium à Kilian JORNET affublé de son menhir ! Pour mémoire, laVO2 max ou « consommation maximale d’oxygène » correspond à la cylindrée du sportif d’endurance. Sur le plan biologique, elle dépend de nombreux paramètres.
VO2MAX CYLINDRÉE DU SPORTIF
Premièrement, le débit du cœur, c’est-à-dire le volume de sang propulsé par la force du cœur à chaque contraction multiplié par la fréquence cardiaque maximale. Deuxièmement, la capacité du sang à transporter l’oxygène qui est corrélée à la quantité de globules rouges. Vous le savez, cette quantité est majorée par le dopage à l’EPO. Troisièmement, l’aptitude des muscles à prélever et utiliser l’oxygène. Cette dernière étape est liée à la densité en vaisseaux microscopiques dans les masses musculaires à laquelle s’ajoute la concentration tissulaire en mitochondries, les fameuses centrales énergétiques cellulaires.
VO2 CENTRALE : CŒUR ET GLOBULES ROUGES
VO2 PÉRIPHÉRIQUE : CAPILLAIRES ET MITOCHONDRIES
Les deux premiers items portent le nom de « composante centrale » de la VO2max. Le dernier s’appelle « composante périphérique ». On admet que la génétique détermine environ 80 % de l’efficacité de ces processus biologiques. De fait, votre marge de progression grâce à votre entraînement est de l’ordre de 20 % ! Tout le monde ne peut pas faire 2 h 06 sur marathon ! Ainsi, il est admis que les performances en endurance sont fortement corrélées à la VO2max. Le 1 500 et le 3 000 mètres constituent les distances où le lien est le plus tenu car elles correspondent à peu près au temps de maintien à fréquence cardiaque maximale.
Quand le kilométrage augmente, le lien statistique avec la VO2max s’érode tout en restant fortement déterminant. Les chronos dépendent alors du pourcentage de VO2max à partir duquel vous produisez de l’acide qui freine le métabolisme, provoque des douleurs musculaires et un essoufflement… Vous le savez, il provient essentiellement de l’acide lactique.
SEUIL : ZONE ROUGE DU COMPTE-TOURs
On parle alors de « seuil ventilatoire » pour caractériser cette intensité à laquelle vous commencez à accélérer votre rythme respiratoire. Si votre VO2max correspond à la cylindrée de votre moteur, le « seuil » est comparable à la zone rouge de votre compte-tours. Pour une même puissance maximale, votre vitesse moyenne sera plus élevée si vous parvenez à tourner longtemps à 8 000 tours sans souci alors que votre concurrent serre ses pistons après 15 minutes à 6 000 tours.
TECHNIQUE ET RENDEMENT AFFECTENT LA PERFORMANCE
Vos résultats dépendent aussi de votre rendement, lié à votre technique de course, à votre équipement et à votre morphologie. La différence entre les Suédois et les Kenyans illustrent bien cette notion. Les premiers ont des VO2max comparables, voire supérieures aux seconds, pourtant ils ne brillent pas sur marathon. L’explication passe par le poids de leurs extrémités qui peinent à être soulevées en courant alors qu’elles glissent quasiment en ski de fond où ils dominent ! À l’inverse, les Africains de l’Est avec leurs mollets tout fins parviennent à mouliner de longues foulées très rentables ! Voilà qui vous interpelle aussi sur l’intérêt de chaussures légères…
Bien évidemment, notamment sur les longues distances, l’impact de l’expérience s’accroît. Le vieux briscard n’a besoin ni de GPS ni de cardiofréquencemètre pour optimiser sa vitesse et son intensité. Il a le « sens du train » et une fine « perception de la pénibilité ».
L’EXPÉRIENCE : ESSENTIELLE SUR LONGUE DISTANCE
Il parvient à doser et à adapter son effort aux circonstances bien plus finement que l’électronique embarquée dogmatique et arbitraire ! Sans compter qu’il connaît la préparation et l’alimentation qui lui conviennent ! Un autre élément influe sur votre performance. Les psychologues du sport parlent de
« mental » ou de « motivation ». Tim NOAKES, célèbre physiologiste sud-africain, utilise le terme de « gouverneur central », décrivant ainsi l’influence du cerveau pour s’octroyer une marge de sécurité qui vise à limiter l’intensité de l’effort alors que l’organisme pourrait faire mieux ! Nous, les médecins du sport adeptes de la santé, nous conseillons de respecter ce message de notre système nerveux central validé par l’évolution… même si quelques champions se doivent de se transcender pour grimper sur un podium olympique !
LE « GOUVERNEUR CENTRAL » AJUSTE VOTRE TOLÉRANCE à L’EFFORT
Nous, les thérapeutes, constatons quotidiennement l’existence d’un facteur limitant essentiel trop souvent oublié ! Il porte le nom de « blessure » ! Fréquemment, alors que le cœur et les muscles progressent, les tendons, les os ou les cartilages viennent sonner le glas de la performance ! En effet, les premiers sont rouges et pleins de sang, ils s’améliorent très vite. À l’inverse, les seconds sont blancs et pauvres en vaisseaux, leur adaptation est bien plus longue… et ils ne parviennent plus à encaisser les contraintes mécaniques.
LA BLESSURE : UN FACTEUR LIMITANT TROP SOUVENT OUBLIÉ !
Ce « syndrome du gros moteur à petit châssis » est en général provoqué par des programmes Internet ou faussement individualisés… Ces préparations stéréotypées remplissent nos consultations car elles font l’impasse sur l’expertise locomotrice indispensable à la prise en charge d’un senior ou d’un jeune sédentaire repenti…
Précision essentielle ! Dans cette réflexion, le terme VO2max constitue un habituel abus de langage ! En réalité, la dénomination exacte aurait dû être : VO2max par kilo de poids corporel ; c’est ce chiffre qui est corrélé à la performance en course d’endurance ! En effet, chaque foulée constitue un petit saut de l’ordre de 8 centimètres en moyenne. Ainsi, le coureur est dans l’obligation de se soulever légèrement tout au long du parcours !
CHAQUE FOULÉE EST UN SAUT, LE POIDS EST FONDAMENTAL !
À vélo, sur terrain plat où le centre de gravité se déplace sur une horizontale, c’est la VO2 totale dite « absolue » qui détermine la prestation. Les rouleurs sprinteurs sont de solides gaillards pleins de muscles qui poussent très fort sur les pédales. À noter qu’ils disparaissent du classement lors des étapes de montagne quand le poids, et même le rapport poids/puissance, retrouve toute sa pertinence. À l’inverse, les grimpeurs de haut niveau sont désormais si fluets qu’ils ressemblent à des marathoniens. Chris Froome est un exemple emblématique. On comprend alors pourquoi les kilos constituent des ennemis à faire disparaître pour tous les coureurs ! Et on dit même que 1 kilo de perdu, c’est 5 min de gagnées au marathon… En tête de course, les Africains de l’Est avoisinent les 4 à 6 % de masse grasse.
5 % DE MASSE GRASSE POUR UN KÉNYAN, 15 A 20 % POUR UN SÉDENTAIRE
On ne parle plus alors de « graisse de réserve » mais de « graisse structurale » afin de décrire cette limite inférieure indispensable pour texturer le revêtement cutané et proposer un petit manteau amortissant à chaque organe. En milieu de classement, les athlètes assidus et bien préparés tournent aux alentours de 10 %. Derrière, les novices ou les dilettantes côtoient 15 à 20 % comme un sédentaire en bonne santé. Chez les femmes, dans chaque région du peloton, les chiffres sont majorées de 10 % environ. La médecine holistique et évolutionniste a subtilement constaté que ce stock supplémentaire correspondait étonnamment à l’énergie pour mener à bien une grossesse. D’ailleurs, le corps semble connaître cette limite de sécurité puisque l’ovulation et les règles s’estompent à partir de 20 % de graisse et disparaissent en deçà de 16 %… Ainsi, vouloir à l’excès améliorer sa VO2max par kilo se paie au prix d’une ménopause précoce délétère pour le cœur, les os et l’ensemble de l’appareil locomoteur… Et le succès est souvent provisoire !
Vous comprenez pourquoi dans notre « crazy trail de Kilian contre Liliane », il semblait logique d’ajouter un sac à dos à Kilian JORNET pour qu’il retrouve la VO2max de Liliane DURAND, découvrant ainsi avec empathie la pénibilité de l’effort inhérente au manque de talent… Mais c’était sans compter sur l’ampleur de l’écart physiologique ! Si vous considérez que Kilian présente une VO2max de
80 ml/kg/min… le minimum envisageable pour son niveau … et que Liliane en compte seulement 40… un bon score pour une retraitée adepte de la marche nordique, le premier doit peser deux fois plus et porter son poids sur le dos pour retrouver le niveau de la deuxième !
EN THÉORIE, UN SAC DE 30 à 60 KG POUR LES MEILLEURS !
EN PRATIQUE, ON DIVISE ET ON AJOUTE UN RETARD AU DÉPART !
Bref, afin que les meilleurs du groupe ne portent pas 30 kilos et se brisent les vertèbres… il n’y avait pas de sherpa courageux parmi nous… nous avons dissocié le handicap entre charge supplémentaire et retard au départ. Le plus doué d’entre nous avait donc 15 kilos dans son sac et 11 minutes de retard.
LES CALCULS RIGOUREUX…
La VO2max ou la VMA avaient été évaluées grâce à des épreuves d’effort en cardiologie du sport, par des tests de terrains en club d’athlétisme ou extrapolées à partir de chronos sur des distances de course sur route.
Le poids avait été transmis à l’organisation… et maintenu « secret médical » pour certains… et la surcharge était divisée pour représenter la moitié du handicap à égalité avec le retard au départ.
Le calcul se faisait ainsi :
VO2/kg du fort X poids du fort/son poids + SURCHARGE = VO2/kg du plus faible
Donc
SURCHARGE = (VO2/kg du fort X poids du fort) – (VO2/kg du plus faible X poids du fort) / VO2/kg du plus faible
… à diviser par deux… à compléter par un écart de temps…
L’écart de temps au départ avait été déterminé ainsi. Il s’agissait d’un trail de 10 km. Pour plusieurs d’entre nous le chrono réalisé les années antérieures sans charge correspondait à 1,25 fois le temps sur un 10 km plat sur route. Nous avons donc utilisé les abaques de résultats sur 10 km correspondant à la VO2max de chacun, déterminé les écarts avec le plus faible, multiplié par 1,25… et divisé par deux ! ça va ?
Votre Doc du Sport avec ses 42 de VO2max… jouait le rôle de Liliane ! Je suis donc parti en premier ! Rassuré par les handicaps de mes copains, j’ai trottiné avec aisance, peaufiné le balisage, savouré le paysage, éliminé les effets diurétiques des grands cafés… quand… soudain, les deux plus doués, affublés de leurs gros sacs mal fixés et ballottant, me soufflent dans le dos et m’enrhument en me doublant ! Je refais dans mon cerveau mal oxygéné le calcul des handicaps…
UN « GOUVERNEUR CENTRAL » RÉGLÉ SUR LE BONHEUR
Non ! Tout est juste ! Nous avons bien égalisé les VO2max ! Il me reste à réfléchir sur les « autres facteurs limitants »… Le débriefing à l’arrivée et l’électronique embarquée me suggèrent une interprétation pertinente ! Fréquence cardiaque moyenne des vainqueurs 160 à 170… fréquence cardiaque moyenne de votre Doc du Sport 145… Mon « gouverneur central » m’avait proposé mieux qu’une marge de sécurité, il m’avait invité à une bonne dose de plaisir et de bonheur en trottinant dans la nature, au milieu de mes amis… et Esculape, le dieu grec des médecins, finit de me rassurer en me rappelant qu’un bon médecin est un médecin heureux !
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