Le partenariat de recherche entre l’Institut de biomécanique humaine Georges-Charpak (école nationale supérieure des arts et métiers, Paris) et la Fédération française de golf, un tandem à la pointe de la recherche pour le bien des golfeurs.
Par Maxime Bourgain, enseignant chercheur en biomécanique et responsable de la Majeure Ingénierie et Santé de l’EPF Ecole d’Ingénieurs
Le golf est un sport très populaire à l’échelle mondiale : environ 60 millions de personnes le pratiquent régulièrement (Farally et al. 2003). En France, la population de golfeurs est un peu plus faible car la fédération compte seulement 400 000 licenciés (FFG 2016), avec plus de la moitié considérés comme seniors (210 000 ont plus de 55 ans).
Malgré cet aspect, plus de 1 200 personnes sont référencées comme joueurs professionnels en France et évoluent sur les tournois internationaux. Les motivations de ces deux populations ne sont pas les mêmes : du simple hobby pour certains, il est une profession pour d’autres. Toutefois, nombreux ont cette volonté d’améliorer leur performance. L’enjeu consiste à les accompagner pour que cela ne se fasse pas au détriment de leur santé.
Par bien des aspects, le golf est vu comme un bon candidat pour l’approche sport-santé, de plus en plus répandue. Depuis que le gouvernement français a autorisé les médecins à prescrire le sport comme moyen thérapeutique, le problème est désormais d’identifier quel sport est à prescrire et à qui. Et malgré de nombreuses études scientifiques et médicales sur le sujet, les sociétés savantes semblent encore loin d’avoir résolu ce problème.
Le golf est un sport où l’on vient alternativement effectuer des phases d’endurance et des phases dynamiques. En effet, sur un parcours, le golfeur doit marcher de l’ordre de 10 km en 4 h et réaliser un nombre variable de swings en fonction de la technicité et des compétences du golfeur. Le swing, mouvement clé du golf, est réalisé pour faire parcourir de longues distances à la balle, couramment de l’ordre de 200 m pour un premier coup. Pour l’analyser, il est commun de le décomposer en 4 phases : l’address, la phase de préparation du mouvement, le backswing lorsque l’on vient armer le club en arrière, la phase de downswing où l’on vient accélérer le club jusqu’à l’impact et la phase de follow-through où l’on vient ralentir le club. Le swing est
crucial : perdre quelques mètres obligera le golfeur à faire un coup supplémentaire mais aussi à avoir un défaut d’orientation. À cette distance, un défaut d’orientation de 5° à l’impact conduit à un écart de presque 20 m par rapport à la cible. Ainsi, la concentration pendant le mouvement, la maiîtrise de soi, mais également la proprioception deviennent primordiales pour la bonne exécution de ce mouvement. On peut voir l’exécution d’un parcours de golf, réalisé en 3-4 h, comme une succession de phases d’endurance puis de phases dynamiques nécessitant de la puissance ainsi que de la concentration et de la proprioception. Un sport complet en somme.
Dans sa revue de littérature, Murray et ses collaborateurs ont montré que pratiquer le golf permettait d’améliorer la santé physique et mentale des joueurs (Murray et al. 2016). Au-delà de l’aspect purement physique du sport, les interactions entre les joueurs, les habitudes, les rencontres, etc., ont aussi un rôle positif sur la santé mentale et le bien-être.
Certains médecins préconisent la pratique du golf après une lombalgie chronique (Ribaud et al. 2013), voire pour une reprise d’activité physique après une opération de prothèse totale de hanche (Swanson et al. 2009).
Toutefois, une étude récente de Perron (Perron et al. 2016) a montré, sur une population française, qu’une blessure ou une douleur apparaissait toutes les 500 h de jeu, principalement au niveau des lombaires. Ces douleurs sont la première cause d’arrêt des carrières des joueurs professionnels (McHardy et al. 2016). Ce type de douleur peut apparaître suite à une amplitude articulaire plus faible au niveau de la région lombaire (Gluck et al. 2007) mais aussi au niveau des hanches (Lindsay et al. 2014).
Plus généralement, il a été montré que ces douleurs ou blessures apparaissent lors ou suite au swing, notamment à cause d’un mauvais échauffement – voire son absence – ou suite à des sessions d’entraînement trop intensives. Pour résumer, le golf semble être un bon candidat pour être un sport à recommander tout au long de la vie; cependant, actuellement, nous souffrons d’un manque de compréhension de la biomécanique associée pour savoir dans quelles mesures sa pratique sera bénéfique ou au contraire induira des douleurs ou blessures.
Ainsi, la problématique actuellement investiguée par de nombreux chercheurs dans le monde entier est d’augmenter la compréhension de la biomécanique du swing pour permettre la pratique du golf en minimisant le risque de blessure.
Mais qu’est-ce que cela signifie concrètement ? Où en sommes-nous actuellement au niveau de la recherche dans le domaine ? Que peut-on mesurer en laboratoire ? Peut-on avoir les mêmes informations directement sur le terrain ?
Avant d’améliorer la performance, il est nécessaire de la définir. Par définition, un joueur de golf plus performant est un joueur qui arrive à réaliser son parcours en moins de coups que ses concurrents. Pour cela, le joueur doit analyser le terrain, les conditions météorologiques, choisir le bon club en fonction de la distance à parcourir, réaliser un swing contrôlé pour effectuer la plus longue distance ou la distance voulue.
Dans ces conditions, comment comparer la performance réelle entre deux joueurs, celle due à l’environnement de celle due au joueur (sa technique propre) ? Ainsi, les mesures en laboratoire permettent de contrôler la situation à laquelle est confronté le joueur et donc de n’étudier que la technique de ce dernier.
Par exemple, une étude en laboratoire permettra de ne pas confronter le joueur aux conditions météorologiques extérieures : il n’y aura de vent que si l’expérimentateur le veut et potentiellement celui-ci sera contrôlé, comme dans le cas d’études en soufflerie (à notre connaissance jamais réalisées jusqu’ici pour le golf).
De cette manière, il est possible d’isoler la composante technique de la performance, c’est-à-dire celle uniquement liée au geste. Ainsi, il est commun en laboratoire d’estimer la performance uniquement par la vitesse de tête de club, celle-ci pouvant être mesurée par des radars tels que le Trackman. Toutefois, il est rare de considérer le carry (distance parcourue par la balle) ou le side (écart de la balle par rapport à l’orientation cible, une fois arrêtée) car ces deux éléments sont estimés à l’aide de la mesure du vol de la balle à l’impact.
En effet, il est courant que les swings soient exécutés à l’intérieur d’un bâtiment, il faut donc arrêter la balle en plein vol (souvent à l’aide d’un filet). Ainsi, le carry et le side sont simulés – et non mesurés – à partir d’un nombre très limité de mesures pendant les premiers mètres de vol et donc potentiellement entachés d’erreurs.
De plus, la trajectoire de la balle est influencée par la technique biomécanique du golfeur mais aussi par la qualité du matériel, la position de la balle sur la face du club à l’impact, son inclinaison, etc.
D’un point de vue biomécanique, un swing parfait exécuté quelques millimètres en décalé par rapport à la balle pourrait engendrer la même vitesse de club mais la balle n’aurait pas une trajectoire idéale.
En prenant la performance comme étant la vitesse de tête de club, on fait le choix de se focaliser sur la technique biomécanique du golfeur : l’organisation et l’évolution de son corps dans l’espace lors du swing. Le golfeur pourra, dans un second temps, travailler son positionnement par rapport à la balle. Mais la performance n’est pas le seul élément étudié en laboratoire, l’intérêt est aussi d’étudier le risque de blessure.
L’étude du risque de blessure ou de l’apparition de douleur est nécessairement compliquée : il faudrait pour cela que le volontaire se blesse lorsque la mesure est réalisée.
Or, aucun expérimentateur ne veut blesser les volontaires qui s’engagent dans un protocole de recherche. Tout est fait pour que ce ne soit pas le cas. L’étude des mécanismes lésionnels se fait donc indirectement en posant par exemple l’hypothèse que si les efforts (forces, couples mécaniques, énergie, puissance) sont plus faibles, alors les structures telles que les os, les ligaments, les tendons sont moins sollicités et risquent moins d’engendrer douleurs ou blessures.
Les résultats de ces recherches doivent être transférés aux pratiquants, par les entraîneurs ou la Fédération française de golf, par exemple. Toutefois, le transfert aux entraîneurs est parfois délicat pour au moins deux raisons. La première est, chez certains, une mauvaise compréhension des phénomènes physiques ou mécaniques qui sont en jeu pour bien comprendre le mouvement.
Une analyse complète nécessite la compréhension des efforts (forces et moments mécaniques), de la cinématique (le mouvement des différentes zones du corps, regroupées en segments tels que le bras, le tronc, le bassin), mais aussi de la dynamique qui permet de lier les efforts à la cinématique (les curieux pourront se rappeler les théorèmes de Newton), voire de l’énergétique (énergie cinétique, travail et puissance mécaniques).
Tous ces éléments doivent être mis en perspective avec les caractéristiques du golfeur : sa physiologie par exemple, mais aussi sa forme physique du jour, etc. Le travail du biomécanicien (expert dans l’application des théories mécaniques au corps humain pour en comprendre son fonctionnement) est complémentaire de celui de l’entraîneur (qui a désormais aussi pour mission de faire la traduction de ce que le biomécanicien veut dire au golfeur).
La seconde raison concerne le matériel car celui disponible sur le marché est de qualité variable, à plusieurs niveaux. Le premier niveau est ce que le matériel mesure réellement. La plupart des plate-formes de force du marché (comme Smart2Move) permettent de mesurer la force verticale entre chaque pied et le sol. On peu alors en déduire le centre de pression de chaque pied, le centre de pression global, la répartition gauche/droite de l’effort vertical.
Toutefois, les efforts appliqués par le golfeur sur le sol sont tri-dimensionnels. Or, ce système ne permet pas de mesurer les composantes de ces efforts dans le plan de la surface de contact (composante médio-latérale et composante antéro-postérieure). Or, l’effort dans le plan est nécessaire car c’est lui qui permet la propulsion du mouvement grâce à l’adhérence.
Celui qui ne comprend pas où l’on veut en venir pourra essayer de faire un swing sur une patinoire : une fois que l’on essaie d’amorcer un backswing, les pieds risquent de glisser, car l’adhérence au sol n’est pas adéquate, et l’on ne peut donc pas réaliser convenablement le swing. Ne mesurer que l’effort vertical sous-entend que le rôle de l’adhérence sol/pied n’est pas important.
Or, c’est bien pour améliorer cette adhérence que certains utilisent des crampons spécifiques sur le parcours. Pourtant, ce n’est que très récemment que des acteurs du marché du golf se sont positionnés pour proposer des moyens de mesure des efforts horizontaux : à notre connaissance seul le système Swing Catalyst annonce pouvoir le faire.
En plus de la mesure, il est important d’interpréter les données. Par exemple, on peut mesurer la position du tronc et du bassin dans l’espace mais il est plus courant de donner des indicateurs, comme le X-factor qui représente la dissociation entre le bassin et les épaules. Initialement introduit par McLean en 1992, il part du principe que le tronc agit comme un ressort de torsion pendant le swing, celui-ci s’étirant pendant le backswing et se relâchant lors du downswing. D
onc, plus le ressort est étiré, plus l’énergie potentielle disponible au downswing sera importante. Toutefois, les articles scientifiques à ce sujet montrent que ce n’est pas si simple : certains ont montré que ce facteur était faiblement lié à la performance (Chu et al. 2010, Joyce et al. 2016, Cheetham et al 2001), d’autres qu’il ne l’était pas (Ferdinands et al. 2013, Kwon et al. 2013). De manière générale, le calcul de ce facteur n’a pas actuellement de méthodologie figée.
Il existe principalement deux manières de calculer le X-factor : celle épaule/bassin où l’on regarde globalement où se situent les épaules par rapport au bassin (colonne vertébrale et épaules). Et celle thorax/bassin où l’on regarde principalement la rotation de la colonne vertébrale.
Pour mesurer le X-factor, certains entraîneurs de golf utilisent la K-Vest. Il s’agit d’un ensemble de capteurs qui s’utilisent par-dessus les vêtements. Les capteurs de la K-Vest étant sur le bassin, le tronc et la main, il n’est possible de mesurer que le X-factor tronc/bassin. De plus, les capteurs se mettant par-dessus les vêtements, il peut y avoir un glissement potentiellement source d’erreurs de mesure, et entraiînant un problème de répétabilité d’une session de mesure à l’autre.
Les outils utilisés en recherche sont développés pour permettre la mesure la plus précise possible (tout en maîtrisant les incertitudes et les biais inhérents aux mesures). Ces outils ne sont nécessairement pas les mêmes que ceux utilisés directement sur le terrain car les contraintes d’utilisation sont différentes. En laboratoire (voir figure suivante) on pourra utiliser du matériel lourd et complexe qui n’a pas à être déplacé.
Par exemple, les plate-formes de force permettent de mesurer en 3 dimensions les efforts (verticaux et horizontaux) mais aussi les mouvements (efforts de rotation, ou effet d’une force à distance par son bras de levier), et ce à des fréquences de mesure de l’ordre de
1 000 Hz, c’est-à-dire 1 000 mesures prises par seconde. Ces systèmes sont calibrés régulièrement et ne sont jamais déplacés vu que cela pourrait les décalibrer et ainsi fausser la mesure.
Mais cela ne suffit pas car il faut aussi savoir comment le corps bouge dans l’espace. Pour cela, en recherche, il est courant d’utiliser un système de capture du mouvement de type optoélectronique. Il s’agit d’un système composé d’émetteurs/récepteurs de lumière infrarouge mais aussi de billes réfléchissantes (ou marqueurs).
Ainsi, la lumière est émise par l’émetteur, puis réfléchie par le marqueur et captée par le récepteur. En pratique, ce sont des caméras avec un filtre de lumière rouge ou infrarouge. À partir du moment où deux caméras voient cette bille, il est possible de connaître sa position dans l’espace 3D.
Cela nécessite que les caméras sachent où elles se trouvent les unes par rapport aux autres, ce qui s’obtient à travers une étape de calibration du système. De cette manière, la précision de mesure est inférieure au millimètre. Ces billes sont positionnées directement sur le corps sur des zones anatomiques caractéristiques.
Très souvent, elles sont collées directement sur la peau car le mouvement relatif du vêtement par rapport à la peau engendre des mouvements relatifs supplémentaires entre la bille et les os, diminuant ainsi la précision des résultats.
Un troisième outil couramment utilisé en biomécanique du sport est la mesure de l’activité électromyographique (EMG) à travers les activités électriques des muscles. Il s’agit d’électrodes qui permettent de mesurer les différences de potentiel électrique (tension) d’un muscle lorsqu’il est sollicité.
Cela permet de savoir quel muscle s’active, à quel moment, et à quelle intensité. Toutefois, cette méthodologie est longue à mettre en place, nécessite des experts pour positionner les électrodes, vérifier les signaux mais aussi traiter ces derniers.
De plus, le mouvement de swing est un mouvement du corps complet. Il faudrait donc pouvoir mettre des électrodes pour chaque muscle, ce qui
est expérimentalement très compliqué, voire impossible. Notamment parce que les électrodes pour les muscles profonds sont des aiguilles à insérer jusque dans le muscle.
Celles-ci ne sont que rarement utilisées dans l’étude des mouvements sportifs à cause de leur complexité d’utilisation mais aussi par la gêne occasionnée lors du mouvement. En outre, pour les électrodes placées à la surface de la peau (électrodes de surface), la masse adipeuse empêche une mesure précise car elle augmente l’impédance – la résistance au courant électrique – ce qui peut être problématique pour la ceinture abdominale par exemple.
Donc, on voit bien qu’il existe du matériel très spécifique en recherche permettant une mesure précise. Toutefois, cela ne fait pas tout : il est aussi nécessaire d’extraire l’information utile, à partir de cette mesure. Cela se fait avec des choix de modèles qui comportent de nombreux paramètres notamment liés à la morphologie du golfeur (centre articulaire, longueur des segments, etc.).
La communauté scientifique se fonde sur plusieurs approches pour les déterminer : extrapolation de mesures faites sur cadavres, ou l’utilisation de systèmes d’imagerie médicale pour adapter précisément le modèle à la personne. Cela est fait par exemple à l’Institut de biomécanique humaine Georges-Charpak où certains protocoles de recherche utilisent le système EOS.
Celui-ci permet de faire deux radiographies simultanées, de face et de profil puis de reconstituer en 3D le squelette du golfeur (voir image suivante). Mais aussi de repérer les marqueurs sur ces radiographies. Ainsi, on a la position relative des os par rapport aux billes. De cette manière, la mesure qui est faite par le système optoélectronique devient, après traitement des données, une mesure de la position du squelette dans l’espace au cours du swing.
À partir de ces mesures, il est possible d’étudier de nombreux paramètres géométriques comme le X-factor, mais aussi ceux liés aux efforts au sol. Il est également possible d’évaluer les contributions relatives des différentes articulations dans le mouvement (dynamique articulaire). Toutefois, si la mesure de base n’est pas précise et que les modèles de traitement sont grossiers, le résultat sera nécessairement à prendre avec du recul. A contrario, une mesure précise ajoutée à un modèle fidèle à la réalité permet d’obtenir des informations riches.
Outre la mesure, il se pose la question de l’objectif : vers quoi veut-on orienter le golfeur ? On serait tenté de suggérer aux joueurs amateurs de se rapprocher le plus possible des mouvements des joueurs professionnels.
Mais comment être sûr que le joueur en a la capacité physique ? Peut-on raisonnablement dire à un joueur amateur d’une cinquantaine d’années, qui fait une session de practice et un parcours par semaine, que son swing doit être le plus proche possible de celui d’un jeune joueur professionnel de 25 ans qui s’entraîne 40 h par semaine ? Les joueurs professionnels nous permettent de comprendre les éléments clés de la performance et c’est la compréhension des phénomènes mécaniques mis en place permet d’identifier le cap à suivre pour performer.
Pour résumer, le swing parfait universel n’existe pas, mais il existe un swing optimal pour chaque pratiquant. Ainsi, la mesure semble être de plus en plus cruciale dans la quête de la performance. Mais elle n’aura de sens que si l’analyse effectuée est personnalisée et adaptée.
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