Les yips du golfeur

Les Yips du golfeur
Les Yips du golfeur

Phénomène dont la fréquence est discutée, les yips sont classiquement définis comme l’impossibilité à exécuter un stroke (mouvement ou swing) de putting régulier, voire à débuter le mouvement (comme si le joueur présentait un blocage moteur). Il s’agit de la conséquence de contractions ou spasmes involontaires au niveau des muscles des avant-bras ou des mains.

Par le docteur Olivier Rouillon, médecin fédéral national, Service de chirurgie orthopédique – hôpital Lariboisière – AP.HP

Présentation des yips et de ses conséquences dans le jeu du golfeur

Depuis 1977 (Foster JB), les yips sont analysés comme une anomalie de la commande du muscle par le nerf (commande neuro-motrice), ce phénomène étant majoré par l’anxiété.

Le plus souvent, les yips se manifestent au putting, parfois au chipping, plus rarement au grand jeu.

Au putting, les yips entraînent une trajectoire de balle qui n’est pas du tout en rapport avec la cible (le plus souvent à gauche du trou pour les droitiers). Une enquête déclarative de la Mayo Clinic conclut que les golfeurs présentant des yips au putting voient leur score sur 18 trous augmenter de 4,7 coups en moyenne.

Au chipping, les yips sont responsables de grattes, tops, ce qui amène les joueurs atteints à utiliser le putter en dehors du green, parfois très loin de celui-ci. On observe, comme au putting, des spasmes involontaires des muscles des mains et des avant-bras, avec un swing mal ou non coordonné et un niveau excessif d’activité musculaire au niveau de l’avant-bras droit.

Dans le cas de yips au chipping, il est également nécessaire de se poser la question des fautes techniques éventuelles dans ce secteur du jeu (à contrôler avec votre pro). Le plus souvent, on observe que le joueur ne monte pas assez le club au backswing et qu’il accélère trop brutalement pour faire la distance (cf. Benoît Ducoulombier).

Au grand jeu, les yips entraînent des erreurs de trajectoire avec une balle qui peut être une « gauche/gauche » ou bien un push si le joueur bloque à l’impact.

Cela est également souvent la conséquence d’une faute technique qui peut être un grip trop faible avec un club ouvert au top backswing, ce qui amène le joueur à compenser avec les mains durant le downswing (cf. Benoît Ducoulombier).

Quelle est la fréquence des yips chez les golfeurs ?

Selon les différentes études retrouvées dans la littérature scientifique internationale, elle varie de 16 à 50 % de golfeurs rapportant, à l’interrogatoire, avoir présenté ou présentant des yips. Ces chiffres sont à considérer avec un certain recul, car ils sont différents selon que l’on interroge les golfeurs ou que l’on met en évidence les yips en vidéo. De plus, lorsque l’on pose la question « Avez-vous ou avez-vous eu des yips ? », les golfeurs atteints ont tendance à répondre en beaucoup plus grande proportion que ceux non atteints, ce qui entraîne un biais statistique très important. De ce fait, dans les enquêtes déclaratives, la fréquence des yips est très certainement largement surévaluée.

À contrario, certains joueurs ne sont pas conscients du fait qu’ils présentent des yips, et donc ne répondent pas positivement lors des enquêtes.

Selon toute probabilité, la fréquence réelle des yips se situe donc entre 15 et 20 % de golfeurs atteints.

Autre donnée intéressante : sur la base d’un questionnaire très complet (69 items), McDaniel (Neurology, 1989) a observé les éléments suivants :

  • 24 % des golfeurs affectés par les yips déclaraient avoir des manifestations en dehors de la pratique du golf ;
  • 25 % des golfeurs affectés par les yips déclaraient avoir des manifestations sur d’autres régions du corps que les membres supérieurs.

Ce que l’on sait de façon certaine, c’est que les yips touchent plutôt :

  • Des joueurs pratiquants le golf depuis 9 ans (en moyenne) : cela correspond à la notion d’ancienneté de la pratique. Il est beaucoup plus rare d’observer des yips chez les golfeurs débutants, même si cela est possible (nous y reviendrons) ;
  • Des joueurs plus âgés (en moyenne) que ceux non atteints par les yips;
  • Des joueurs de « compétition », avec un index de jeu moyen de < 15.

Les circonstances de déclenchement des yips

Les circonstances de déclenchement des yips
Les circonstances de déclenchement des yips

En ce qui concerne les manifestations au putting, elles sont favorisées par :

  • Les putts courts (en dessous de 1,2 mètre) ;
  • Les putts en descente, avec une pente droite – gauche ou avec un break prononcé ;
  • Les greens rapides.

Par ailleurs, Stinear (Medicine & Science in Sports and Exercise, 2006) a démontré que les circonstances suivantes favorisaient également les yips au putting :

  • Contexte de compétition ;
  • Être en tête d’une compétition ;
  • Putts à plusieurs pentes ;
  • Jouer contre un ou des adversaires spécifiques (que l’on connaît ou que l’on redoute) ;
  • Putts faciles en match play (mais non « donnés »).

Smith en 2003 (Sports Med) constate que la présence de yips entraîne l’usage de l’alcool et/ou des bêta-bloquants (pour tenter de résoudre le problème). D’autre part, les joueurs atteints diminuent leur temps de jeu hebdomadaire, voire abandonnent la pratique du golf (le plus souvent de façon temporaire).

La conception classique de l’origine des yips (la physiopathologie)

  • Smith (Sports Med, 2003) considère qu’il s’agit d’une continuité entre un trouble neurologique (anomalie de la commande du muscle par le nerf) et un trouble psychologique de type « suffocation ». Le trouble neurologique est alors considéré comme une dystonie focale et le trouble psychologique comme majoré par l’anxiété. L’auteur en déduit qu’il existe 2 types de yips :
    • Ceux liés à une détérioration acquise de la fonction motrice, exacerbée par le stress aussi bien psychique (anxiété) que physique (fatigue) ;
    • Ceux qui semblent résulter purement d’une anxiété liée à la performance (réussir son putt par exemple, cela dans des conditions de compétition) ;
  • C.H. Adler (Movement Disorders, 2011) considère qu’il s’agit de la « crampe » du golfeur, cela par analogie avec les pathologies connues telle la crampe de l’écrivain ou du musicien. Dans ce travail, la notion intéressante est celle d’un mouvement répété de façon très fréquente (nous y reviendrons).

Klämpfl M.K. (Journal of Sports Sciences, 2015) souligne la notion d’overuse, c’est-à-dire qu’il est nécessaire d’avoir de nombreuses années de pratique golfique pour être atteint de yips (notion de charges cumulatives). Cela correspond à la notion de répétitions très fréquentes d’une seule tâche (geste) motrice spécifique entraînant un trouble moteur (définition de la dystonie neuromusculaire focale : Altenmüller 2009).

Il met également en évidence que la pratique antérieure d’un sport de raquette main droite (tennis, squash en particulier) favorise statistiquement la survenue de yips chez les golfeurs.

Pour lui, les yips seraient donc la conséquence d’un transfert inapproprié d’une habileté motrice acquise dans un autre sport (tennis le plus souvent).

Ces conclusions sur la pratique antérieure du tennis ont été reprises par C. Marquardt dans sa présentation lors du World Scientific Congress of Golf à St Andrews en 2016. Pour cet auteur, la main droite (dominante chez les droitiers) « éduquée » par la pratique du tennis adresse au cerveau des afférences sensorielles très importantes, ce qui entraîne une stratégie motrice d’hypercontrôle inadaptée au moment de l’impact.

Il sera intéressant, dans le futur, de vérifier cela chez des joueurs gauchers affectés par des yips (et jouant en gaucher).

Constats récents

L’AROT

Ces dernières années, des travaux scientifiques ont permis de mettre en évidence les éléments suivants :

  • Il existe chez les golfeurs présentant des yips au putting un allongement de la durée du swing (de putting) et tout particulièrement du backswing ;
  • On retrouve chez les golfeurs présentant des yips : une augmentation de la vitesse de rotation de la tête du putter à l’impact ainsi qu’une augmentation de l’accélération rotationnelle de la tête du putter à l’impact. Ces 2 éléments sont particulièrement importants si le joueur effectue le putt uniquement avec la main droite (pour un droitier).

Les éléments ci-dessus constituent des éléments objectifs de la présence de yips au putting. Ils sont mis en évidence par une analyse du putting grâce au Sam Putt Lab ou au logiciel dédié au putting avec le Trackman.

En 2016, lors du World Scientific Congress of Golf à St Andrews, C. Marquardt propose un nouveau critère objectif : l’AROT. Il s’agit de l’amplitude de l’accélération de la tête du putter de 100 millisecondes avant l’impact jusqu’à 100 millisecondes après l’impact. Exprimé en degrés/seconde2, il semble s’agir du critère le plus fiable d’objectivation de yips au putting.

Lors d’un putt à une seule main (la droite chez les droitiers) ;

  • AROT > 5 000°/sec2 chez les golfeurs atteints de yips ;
  • AROT < 2 500°/sec2 chez les golfeurs non atteints.

Par ailleurs, toujours dans les mêmes conditions (putt uniquement avec la main droite), Marquardt fait remarquer le fait que l’AROT est augmenté de façon significative (sur un plan statistique) chez les golfeurs ayant antérieurement pratiqué le tennis.

Pour cet auteur, l’AROT est le critère le plus fiable pour objectiver les yips au putting.

Le cercle vicieux

Marquardt a également décrit ce qu’il qualifie de « cercle vicieux » des yips (IJSS 2009).

Ce cercle vicieux se met en place dans les conditions suivantes

  • Perturbation motrice dans un contexte spécifique (compétition, enjeu);
  • Objectif de précision sur les putts courts ;
  • Modification du timing du swing de putting, avec en particulier allongement de la durée du backswing : le joueur est en sur-contrôle ;
  • Activation d’un feedback, le joueur ayant conscience de la perturbation motrice (problème « physique »), ce qui augmente son anxiété sur les putts courts. Il essaye alors de contrôler encore plus son mouvement, en anticipant le spasme musculaire.

Existe-t-il un ou des traitements des yips ?

Traitement médicamenteux ?

  • Les bêta-bloquants (molécule utilisée en cardiologie pour limiter l’augmentation du rythme cardiaque) ont été essayés sans succès.
  • La toxine botulique : il s’agit d’un médicament injectable, utilisé pour traiter la spasticité dans de nombreuses pathologies neurologiques. Dhungana et Jankovic (Mov Disord, 2013) ont proposé son utilisation, mais le risque est d’affaiblir les muscles indispensables dans le swing (au grand jeu). De plus, le nombre de sujets inclus dans leur travail est beaucoup trop limité pour valider cette attitude.
  • Donc, il n’existe pas, à ce jour, de médicaments pour traiter les yips.

Les modifications techniques ?

  • Il s’agit de changer de grip de putting, avec comme objectif de diminuer le rôle de la main droite chez les droitiers. Cela permet de limiter l’hypercontrôle par la main droite.
  • Le grip le plus fréquemment adopté est la célèbre « pince de crabe », certains utilisant également différentes variantes du grip inversé.

Le changement de putter ?

  • De nombreux joueurs atteints de yips ont essayé avec plus ou moins de succès d’utiliser le long putter, le belly putter, les gros grips de putting. Seule la dernière option reste possible pour les joueurs professionnels en fonction des modifications récentes des règles.
  • La modification du matériel peut être complétée par celle du grip (pince de crabe ou grip inversé).

La rééducation ?

  • Si l’on admet que les yips sont en partie liés à un défaut de coordination motrice et donc à un déséquilibre entre les muscles fléchisseurs et extenseurs du poignet, il est possible de proposer des techniques de rééducation adaptées. Cela est validé par l’hyperactivité des muscles fléchisseurs chez les joueurs.
  • La première chose à mettre en œuvre est un renforcement excentrique des muscles fléchisseurs du poignet (et des doigts). En effet, ce travail de renforcement « freinateur » améliore, entre autres, la coordination motrice.
  • La deuxième possibilité est un travail proprioceptif de l’articulation du poignet, ceci afin de diminuer l’hypercontrôle durant le swing de putting. En effet, la proprioception, qui est un réflexe, n’a pas « besoin » d’un contrôle volontaire du mouvement.
  • Enfin, les techniques de levée de tension sur les muscles de l’avant-bras et éventuellement certaines technologies de physiothérapie méritent d’être essayées.

La thérapie comportementale ?

  • Elle est préconisée par Marquardt depuis ses travaux en 2009. Pas de résultats fiables publiés à ce jour.

Le travail sur la routine ?

  • Il consiste, tout d’abord à l’entraînement, en des exercices respiratoires, des exercices de détente des muscles du visage…
  • Il peut aussi prendre la forme de techniques de dispersion de l’attention du type putter sans regarder le trou.

La prévention des yips

La prévention des yips
La prévention des yips
  • Sachant que l’anxiété est majorée par les facteurs de stress, aussi bien physiques que psychiques, il semble cohérent de déconseiller la participation à une compétition importante en conditions de grande fatigue. On sait que la fatigue influence négativement la qualité de la coordination neuromusculaire.
  • Certains joueurs atteints rapportent que le phénomène a débuté après une nuit trop courte, associée à une consommation déraisonnable d’alcool. Cela peut s’expliquer par le rôle néfaste de l’alcool sur la coordination neuromusculaire.
  • Il faut probablement limiter le nombre de putts réalisés à la suite, même à l’entraînement. En effet la notion de tâche motrice spécifique répétée de façon trop importante peut intervenir dans l’apparition des yips. Pour cela, il convient d’alterner les séquences de putting avec des séquences de petit jeu.
  • Adopter une routine de putting faisant une large place aux exercices respiratoires et de détente du visage (F. Rigole).
  • Enfin, la question de la pratique, comme sport de complément, du tennis chez les golfeurs de bon et haut niveau mérite d’être posée. Toutefois, jouer épisodiquement au tennis ou jouer de façon très intensive n’engendrent probablement pas le même niveau de risque de favoriser les yips chez le golfeur.

Perspectives

  • Là ou les causes exactes des yips du golfeur méritent d’être encore précisées. Pour cela, des protocoles de recherche doivent être mis en œuvre en laboratoire de biomécanique (Klämpfl MK, Hum Mov Sci, 2013).
  • Ces protocoles devront obligatoirement comporter :
    • Une analyse du swing de putting sous Vicon. Cela permettra d’obtenir des data sur les mobilités articulaires au niveau des poignets, coudes…
      • Avec plaques de force afin d’analyser les éventuelles perturbations dans l’interaction avec le sol ;
      • Avec enregistrement Wifi de l’activité électro-myographique (EMG) des muscles de l’avant-bras, afin de quantifier l’hyper-activité relevée par certains auteurs ;
      • Avec un système d’analyse du putting du type Sam Putt Lab (trajectoire de la tête du putter, timing du swing, AROT…);
      • Avec enregistrement vidéo (caméra haute vitesse) ;
  • Ces différentes mesures pourront être collectées avant et après « traitement » des yips, que ce soit par modification de la technique, suite à un protocole de rééducation, ou après modification de la routine ;
  • Il est également possible d’envisager des enregistrements EMG en Wifi dans des conditions de putts différentes sur le terrain (en fonction des pentes, distances…) ;
  • Une enquête ciblée (questionnaire auto-administré) auprès de joueurs affectés par les yips pourra également faire progresser notre connaissance du phénomène, pour peu que les items retenus soient les plus pertinents. De ce fait, ce questionnaire devra être établi avec le concours de coachs de haut niveau, de préparateurs mentaux, de préparateurs physiques et bien évidemment de joueurs affectés par les yips.

Conclusion

Les yips du golfeur représentent un phénomène fréquent,même si certains chiffres retrouvés dans la littérature sont probablement exagérés. Objectivement, on peut penser que 15 à 20 % des golfeurs en sont atteints, plus spécifiquement les joueurs de compétition, après 9 à 10 ans de pratique.

Les yips ne sont pas seulement un phénomène neuromoteur de type dystonie neuromusculaire focale. De nombreux facteurs favorisants existent, depuis l’anxiété liée à la performance jusqu’à la pratique intensive antérieure du tennis, en passant par la notion d’overuse qui correspond à une répétition trop fréquente d’une seule tâche spécifique (quantité et fréquence des putts).

Nous avons donc encore beaucoup à découvrir pour arriver à des stratégies scientifiquement prouvées de prévention et de traitement de ce phénomène qui « empoisonne » de trop nombreux pratiquants de notre sport. Des recherches complémentaires nous permettront de sortir de certaines croyances en la matière, lesquelles se révèlent bien souvent erronées.