Considérée longtemps comme une pathologie du vieillissement ou de la femme multipare, l’incontinence urinaire (IU) est également reconnue, depuis les travaux de ces dernières années, comme une pathologie de la femme jeune, sportive et même nullipare. Si de multiples études épidémiologiques concluent à l’efficacité de l’activité physique régulière sur les maladies métaboliques, cardio-vasculaires et le bien-être en général, peu d’études ont analysé la prévalence de l’IU chez la femme sportive. Aussi la pathologie pelvi-périnéale est-elle sous-estimée et reste encore peu connue des milieux sportifs. Par conséquent, la conviction générale selon laquelle les femmes en bonne forme physique ont des muscles du plancher pelvien plus forts les empêchant de développer une incontinence urinaire peut être remise en question.
Par Alain Bourcier, Consultant en périnéologie, Centre d’Imagerie Médicale Juras, Centre Urologie Opéra Paris, Co-Fondateur de l’International Institute of Perineology
La prévalence mesurée lors d’une activité sportive varie de 5,7 % à 80 % et varie selon le type de sport. Les trampolinistes présentaient la prévalence la plus élevée d’incontinence urinaire. Dans plusieurs études portant sur des réponses d’athlètes féminines de haut niveau issues de différents sports, on peut noter que c’est durant les entraînements que les athlètes étaient le plus souvent sujettes à ces troubles (95,5 % des incontinentes le sont pendant l’entraînement versus 51,2 % en compétition) et l’activité la plus à risque était le saut. La prévalence augmente en fonction des sports, de l’intensité de la pratique et de la répétition des exercices à fort impact sur une même période.
De nombreuses femmes sportives ne souffrent pas d’ incontinence urinaire dans leur vie quotidienne mais sont gênées exclusivement au cours de la pratique de sport ou avec une intensité importante. On retrouve principalement les sports à fort impact sur le périnée, les sports dont la pratique entraîne une augmentation rapide de la pression intra-abdominale, aggravée par la composante dynamique d’une activité impliquant une grande mobilité. En reprenant l’ensemble des données obtenues, et en s’aidant pour certaines de la mesure de la pression intravaginale prise par capteur, une hiérarchie des sports à risque a pu être établie et une classification des sports en a été proposée.
De nombreuses questions se posent dans la physiopathologie de l’ incontinence urinaire chez la femme sportive. Est-ce que l’ incontinence urinaire aurait d’autres causes que l’hyperpression intra-abdominale toujours retenue dans les études ? Il est possible d’identifier plusieurs facteurs prédisposants. Certains semblent avoir une relation avec l’IU chez la femme sportive. On peut noter :
➧ Les facteurs génétiques avec des différences au niveau
de plusieurs gênes, notamment la myosine. Il existe un déterminisme génétique avec des facteurs congénitaux et raciaux, d’où une composante héréditaire certaine. Le facteur ethnique, chez les femmes rousses et blanches qui ont un tissu collagène plus fragile que les femmes brunes, noires et asiatiques.
➧ Les facteurs tissulaires avec altération du tissu collagène (syndromes de Marfan ou d’Ehlers-Danlos). L’hypermobilité articulaire et l’hyperlaxité ligamentaire sont associées au risque plus élevé de prolapsus.
➧ Les facteurs musculaires ont été notamment retrouvés dans l’hypotrophie de l’appareil suspensif, le défaut du développement des Levator Ani. Les IRM des muscles du plancher pelvien (MPP) ont pu mettre en évidence des avulsions des Levator Ani (désinsertion ou distension), surtout au niveau du faisceau pub-orectal. Il s’ensuit un hiatus uro-génital largement ouvert.
➧ D’autres facteurs prédisposant chez les femmes jeunes sportives peuvent être évoqués : une diminution de la disponibilité d’énergie, une condition qui interfère avec le contrôle hypothalamique du cycle menstruel, conduisant à une hypoestrogénie avec le rôle des fibroblastes ; les facteurs obstétricaux bien identifiés actuellement ; la constipation chronique et les troubles alimentaires.
➧ Des athlètes souffrant d’incontinence urinaire peuvent avoir un périnée hypertonique ou en suractivité, ce qui a pour conséquence un épuisement de la contraction par absence de relâchement. Véritable contracture cette hypertonicité conduit à une fatigue chronique des MPP et une absence de réponse efficace au cours des augmentations rapides de la pression intra-abdominale nécessaire dans les sports avec sauts.
➧ Chez les athlètes, le moindre déséquilibre du caisson abdomino-périnéal aussi appelé « Core » aura des conséquences sur la statique et la continence, avec des fuites urinaires surtout dans les activités avec détente rapide ou sauts. Chez la sportive, il existe un plus grand taux de troubles de la commande volontaire du périnée (synergie abdominale, inversion de commande périnéale).
➧ Une particularité est l’incontinence urinaire au cours de la course et surtout lors des longues distances (semi-marathons, triathlons, marathons). Les récentes études ont pu mettre en évidence une hyperactivité vésicale (HAV) plus qu’une incontinence urinaire d’effort.
➧ On peut penser que l’incontinence urinaire chez les athlètes n’est pas qu’une conséquence d’une fatigue musculaire induite par l’exercice mais causée par un surentraînement. Elles ont par ailleurs une tendance à avoir des changements physiologiques (position des structures de la vessie, altération du tissu conjonctif).
Le traitement de l’incontinence urinaire de la sportive présente quelques particularités. En effet, les traitements nécessitant une prise médicamenteuse sont généralement impossibles car ces substances sont considérées dopantes (produits adrénergiques, inhibiteurs de la capture de sérotonine). La rééducation ne donne de bons résultats que dans l’incontinence modérée, car il est impossible de tenir la contraction durant l’intégralité d’une séance de sport ou de contrebalancer par la force périnéale des à-coups de pression dépassant 100 cm H20. Les traitements chirurgicaux sont soumis à un risque de récidive du fait des pressions importantes infligées au plancher pelvien lors d’une activité sportive intensive.
Il faut conseiller en fournissant une information aux patientes sur les sports à risque ; le rôle du plancher pelvien ; l’orientation vers une diététicienne en cas de problème alimentaire ; traiter la constipation ; éviter de pousser vers le bas avec les abdominaux lors des séances de musculation ; recourir aux dispositifs permettant une meilleure fermeture du col de la vessie avec des obturateurs urétraux et certains pessaires lorsqu’il existe une cystocèle associée.
La rééducation comprend plusieurs techniques semblables à celles proposées aux femmes non sportives mais avec quelques particularités propres aux athlètes.
➧ Les « Kegel Exercises » ou « Kegels » consistent en des contractions alternées des MPP et devraient être conseillés après chaque pratique du sport.
➧ Les cônes vaginaux présentent le gros avantage d’obliger la femme à ne contracter que les muscles du plancher pelvien et d’être pratiquer en position debout.
➧ Le biofeedback va permettre à la sportive de visualiser le travail effectué, de l’analyser et de le corriger. C’est la méthode de choix pour l’apprentissage de l’automatisme périnéal qui a été décrit sous plusieurs appellations : « verrouillage périnéal avant l’effort » « anticipation périnéale de la contraction abdominale » et « The Knack ».
➧ La stimulation électrique est conseillée en cas de faiblesse musculaire avec un testing < 3. Elle peut être réalisée avec diverses techniques et adaptée à chaque cas. Il est à noter que la plupart des athlètes sont très jeunes, souvent nullipares. Un consentement a minima ou la présence d’un parent est nécessaire pour des techniques invasives.
➧ L’auto-rééducation est recommandée pour entretenir le tonus périnéal et l’endurance chez les sportives pratiquant régulièrement. Il existe de nombreux appareils avec sonde vaginale/anale mais plus récemment a été commercialisé un système non invasif sans sonde.
➧ Les gymnastiques (yoga, Pilates, suédoise, core wellness…), de plus en plus recommandées, associent toutes les mêmes principes : postures, respiration et périnée en prenant en considération les chaînes musculaires synergiques du périnée et les mouvements.
➧ « MAB program » est une méthode dérivée du biofeedback avec télémétrie et consiste en une mesure des activités musculaires enregistrées par un système électromyogramme qui renseigne sur les possibilités de chacune du verrouillage périnéal, lors d’activités sportives.
La chirurgie n’est pas de règle dans notre expérience, a fortiori chez une nullipare. Cependant, l’incontinence urinaire pure avec des pressions de clôture effondrées à 30 cm H20 ou des hypermobilités urétrales importantes ne sera jamais améliorée par la rééducation. C’est souvent le cas chez les athlètes avec sport à impact élevé. Seule une intervention devra être envisagée. Les techniques ont toutefois évolué ces toutes dernières années avec l’apparition des « mini-bandelettes » : incision unique ; facile à insérer ; bandelette ajustable et retour aux activités après seulement 2 semaines. Cependant, il existe toujours un risque de récidive dans les cas de patientes à risque périnéal et la rééducation post-opératoire pourrait être nécessaire pour ce type de patientes. Nous avons donc proposé, depuis 2017, une prise en charge spécifique de patientes très sportives opérées. Il s’agit d’une prévention secondaire puisqu’elle s’adresse en post-opératoire avant toute reprise d’une activité sportive.
Tous les sports ne sont pas pourvoyeurs d’incontinence chez la femme. Si le choix d’un sport est affaire de cas individuel, il faut cependant privilégier les disciplines d’endurance sans trop d’impacts telles que la natation, la marche, le vélo, le roller et les gymnastiques intégrant périnée et le Core. Une meilleure information est nécessaire pour ce problème de santé publique, car il existe des solutions thérapeutiques adaptées à la sévérité de l’incontinence. Il serait nécessaire d’informer les coachs, les instructeurs, les entraîneurs, sur les traitements existants pour éviter une gêne altérant la qualité de vie et sûrement les performances. Enfin, la politique de santé actuelle vantant les mérites du sport devrait proposer des campagnes d’information à grande échelle.
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