Médicaments et randonnée, un risque à balancer

Médicaments et randonnée, un risque à balancer
Médicaments et randonnée, un risque à balancer

Impossible de nier ses maux même si l’on cherche à les oublier en prenant l’air. La randonnée a de nombreuses vertus mais seulement avec ses médicaments à portée de main et à condition qu’ils soient compatibles avec l’activité envisagée. Voici un éclairage comme une (petite) prise de chou…

Par le Dr Sophie Duméry, Membre De La Commission Médicale Fédérale

L’impact de l’effort envisagé

Vérifiez que votre état de forme est compatible avec la randonnée envisagée sous traitement bien suivi. Vos médicaments habituels et leur dosage sont à adapter à l’intensité de la randonnée (bloqueurs du rythme cardiaque, antiasthmatiques, etc.) et surtout à ses tribulations, hautement probables en itinérance. Que va-t-il se passer en cas de déshydratation, de course impromptue (troupeau de bovins peu amènes), de diarrhée profuse sur le chemin, de nuages polliniques ou d’épandages agricoles, de dégustation de tord-boyaux du terroir ? Bref, apprenez à moduler les doses vous-même sur instruction médicale détaillée. Celle-ci est imprimée et placée dans la boîte à médicaments (légère et résistante à l’écrasement, facilement accessible). Une fiche de gestes d’urgence pour un quidam qui aurait à intervenir est aussi nécessaire en cas de malaise qui vous laisserait confus ou inconscient.

Vigilance comme sur la route

Les maladies chroniques imposent fréquemment de prendre des médicaments tous les jours ou des médicaments à longue durée d’action. L’habitude ne doit pas en faire négliger les effets indésirables. Il n’est pas non plus évident de s’interroger sur un médicament pris transitoirement et justement pour randonner tranquillement… Le premier danger à anticiper est l’altération de la vigilance, source de chutes et de traumatismes plus ou moins sévères dont on se serait bien passé. Pour bien l’appréhender, il faut se reporter à la prévention routière : les consignes de vigilance au volant concernent tout autant le marcheur et son matériel (sac, bâtons, appareil photo, etc.) que l’automobiliste ; d’autant que rejoindre le départ d’une randonnée se fait le plus souvent en prenant sa voiture. Ne jetez pas la boîte de vos médicaments ! Les logos bien visibles sont là pour informer même les analphabètes d’une baisse de vigilance, ainsi que la notice, faite pour être consultée. Certes, elle inquiète plus qu’elle ne fournit précisément le risque de somnolence et/ou de confusion lors d’une prise unique ou répétée du médicament. En parler à son médecin est le conseil officiel raisonnable mais en période de désertification médicale, le praticien a rarement le temps de s’éterniser sur des effets secondaires… qu’il connaît parfois mal.

Se tourner vers des informations fiables

Le premier site recommandable est celui du ministère de la Santé : la base de données publique des médicaments, consultable ici : https://base-donnees-publique.medicaments. gouv.fr. Mais il faut connaître les noms du ou des médicaments. Combien de patients les connaissent ? Autre référence, l’Agence nationale de sécurité des médicaments (ANSM) (https://ansm.sante.fr/page/liste-des-centresregionaux-de-pharmacovigilance) présente les 31 centres régionaux de pharmacovigilance répartis sur le territoire, « de façon à favoriser les échanges de proximité avec les professionnels de santé et les patients ». Prenez l’Agence au mot ! Adressez-vous à votre centre régional dans un message poli et précisant bien votre demande. Mettez les formes d’une missive officielle, cela disposera votre interlocuteur à vous répondre sans tarder.

 Vous pouvez aussi vous rendre directement sur le site national des centres de pharmacovigilance (https://www.rfcrpv.fr) et vous abonner à la lettre d’information si vous avez une liste de médicaments longue comme le bras, ou simplement longue comme la main. Il est conseillé d’y recourir surtout pour éviter de se procurer tout et n’importe quoi sur Internet (voir encadré). Les alertes, comme les informations, sont dignes de confiance. Parce qu’il n’y a pas que la baisse de vigilance qui est à craindre lorsqu’on absorbe un médicament et qu’on randonne.

Les saignements intempestifs à la moindre blessure

Les motifs d’un traitement par anticoagulants ou d’antithrombotiques, tous deux prescrits pour fluidifier le sang, sont nombreux et très répandus dans la population. Bien avant le risque de phlébite, c’est le risque de caillot par fibrillation auriculaire (les oreillettes cardiaques qui battent n’importe comment) qui est le plus répandu avec les suites d’un infarctus cardiaque ou cérébral. Les prothèses vasculaires, qu’on implante dans les artères, justifient aussi la prise continue de ces médicaments fluidifiant le sang. On peut se renseigner sur le site de l’Assurance maladie (https://www.ameli.fr/assure/ sante/medicaments/comprendre-les-differents-medicaments/ anticoagulants). Ajoutons que l’aspirine fait partie des antiagrégants, moins puissants que les anticoagulants mais tout aussi capables de vous faire saigner plus longtemps à la moindre blessure cutanée : roncier, Opinel® sauvage, graminée coupe-papier, etc. Si l’on met généralement en garde les patients sous anticoagulants contre les divers chocs et plaies à cause du risque hémorragique, on est moins attentif concernant l’aspirine. Or, il est assez naturel de s’effrayer d’un saignement qui se prolonge ou d’un hématome grossissant à vue d’œil.

Pas question de modifier le traitement médical ! On ne touche à rien, mais on prévoit :

  1. de ne pas chuter ou se cogner, d’éviter les blessures grâce à une organisation et un itinéraire bien pensé ;
  2. de quoi comprimer longtemps une plaie ou une ecchymose. Enfin, l’avis des secours ou d’un professionnel de santé est requis quand le choc ou la blessure sont susceptibles de beaucoup saigner.

L’alimentation joue aussi

Ce que nous mangeons et buvons interagit avec les médicaments, en augmentant ou en réduisant leur absorption digestive et leur concentration sanguine. Parmi les aliments dont il faut se méfier se trouvent le pamplemousse et certains agrumes proches, contenant de la bergamottine. C’est une histoire d’interaction médicamenteuse (voir encadré). Le pamplemousse est un inhibiteur enzymatique, c’est-à-dire qu’il augmente les concentrations sanguines des médicaments, dans la journée qui suit. Alors ? Pensez à l’effet désastreux d’un surdosage aux anticoagulants et autres médicaments pour le cœur, mais aussi aux somnifères, anxiolytiques et antiépileptiques, ainsi qu’aux antipsychotiques. Ces derniers peuvent mettre l’organisme dans un état second incompatible avec la sécurité en randonnée. Pour ne rien dire des automédications par « condiments cannabinés » destinés à satelliser le cerveau façon GPS pas cher : « je la sens la balise GR, je la sens, elle est là ! »

Effets très indésirables et imprévus

En dehors des surdosages, les effets indésirables des médicaments sont toujours à redouter. Même avec une prescription prudente, il y a toujours au sein d’une population des réactions qui ne sont pas indiquées dans la notice. Elles sont imprévisibles parce que liées à la génétique individuelle par exemple. Il est sympa de les déclarer, pour éviter à d’autres d’en faire l’expérience, sur le site gouvernemental dédié (https://signalement.social-sante.gouv.fr).

Faut-il commencer un nouveau traitement lors d’une randonnée itinérante loin de tout ? Certainement pas ! Dans une randonnée, rien ne doit être nouveau en dehors de l’espace naturel, et encore… L’animateur ou le responsable auront reconnu le terrain autant que possible. Gare à l’automédication en situation imprévue : on doit connaître sa tolérance au produit qui ne doit pas être nouveau lui non plus. À défaut, demandez toujours l’avis du pharmacien. Et ne prenez jamais le comprimé d’un(e) ami(e) qui vous assure que « ça marche drôlement bien » pour ce que vous avez. À moins qu’il soit médecin ou pharmacien, il n’y a pas mieux pour avoir des ennuis : sanitaires pour le consommateur, judiciaires pour le prescripteur hors la loi.


Automédication « sportive » : même pas sous protection divine

Il n’est pas prudent quand on tient à la vie d’absorber des ingrédients inconnus, dont on ne connaît pas les effets immédiats et à distance. Les truands du commerce en ligne et des réseaux sociaux vous y invitent avec force discours « de bonne foi » qui tiennent du conte de fées. Et de la pression de la mode : pour être « cool », on ingurgite des mélanges de plantes, champignons, vitamines, poudres amaigrissantes et musculantes, à la légalité souvent douteuse. Avec ces formules pour développer la vigilance, la puissance, quasi des superpouvoirs chamaniques en milieu hostile, les risques toxiques sont légion. Et le décès pas du tout anecdotique avec un peu de déshydratation en sus en cours d’effort… Le milieu sportif est un boulevard pour les trafics juteux. N’y cédez pas, même sous protection de votre divinité préférée. Réorientez votre budget randonnée vers une nourriture saine et appropriée à votre dépense calorique, et vers un matériel solide bien adapté à vos besoins sportifs.

Interactions médicamenteuses, késaco ?

Les interactions médicamenteuses modifient le sort d’un médicament dans l’organisme (absorption, distribution, élimination) à cause d’un médicament associé (conventionnel ou complémentaire) ou à cause d’un aliment. Le résultat est soit une augmentation, soit une diminution des concentrations sanguines du médicament. Ces modifications sont d’importance variable mais peuvent conduire dans des situations extrêmes à une contre-indication absolue d’association. Il s’agit plus souvent d’une inhibition des enzymes cellulaires par le produit concerné. Elle entraîne un « blocage » du métabolisme du médicament qui « stagne » dans l’organisme : sa concentration augmente dans le sang provoquant un surdosage insidieux. À l’inverse, les produits dits « activateurs enzymatiques » accélèrent le métabolisme, avec la disparition rapide du médicament dans le sang, provoquant un sous-dosage lui aussi insidieux. Ce mécanisme accélérateur est lent : sept à dix jours pour un effet maximal. En revanche, l’inhibition enzymatique est très rapide : 24 à 38 heures. Soit un péril quasi immédiat : qu’on se le dise !